Les Chroniques des albums de Tintin
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Les Chroniques des albums de Tintin
Ce sujet est réservé aux tintinophiles, tintinologues ou autres tintinomanes, voire aux curieux, et surtout à éviter par les tintinophobes
Les chroniques qui suivent ont été rédigées il y a quelques années par shelton, grand amateur et connaisseur de BD, qui nous a fait partager à l'époque ses perceptions, notamment des albums des aventures de Tintin.
En voici plusieurs, bonne lecture à tous
Les chroniques qui suivent ont été rédigées il y a quelques années par shelton, grand amateur et connaisseur de BD, qui nous a fait partager à l'époque ses perceptions, notamment des albums des aventures de Tintin.
En voici plusieurs, bonne lecture à tous
Omega-- Admin
- Nombre de messages : 234
Localisation : Vesoul (Haute-Saône-70)
Date d'inscription : 06/07/2008
« Le Sceptre d’Ottokar »
« Le Sceptre d’Ottokar »
Se plonger dans un album des aventures de Tintin, c’est d’abord accepter de lire une bande dessinée. Ne souriez pas, je crois que c’est là le début d’une aventure… Une bande dessinée est histoire racontée avec des mots, des dessins et une bande son… Trois éléments pour un seul récit… ce n’est pas rien… Malheureusement, beaucoup de lecteurs ne lisent que le texte, voir ne le lisent qu’au premier degré, ce qui peut expliquer parfois certaines réactions épidermiques face au travail d’Hergé.
Dans « Le sceptre d’Ottokar », tout commence avec une banale scène de vie urbaine. Tintin est dans un jardin public, un livre à la main, et il s’assoit sur un banc public. Mais voilà qu’il découvre une serviette qui a été oubliée…
Hergé aime souvent commencer ainsi ses histoires, un fait banal, une scène anodine, une visite de musée, une promenade en ville, Milou qui joue avec une boite de conserve tout droit sortie d’une poubelle, une soirée étoilée… Cette fois-ci, notre jeune Tintin, toujours prêt à rendre service, ayant ouvert la serviette, décide d’aller rendre son bien à Nestor Halambique, au professeur Halambique ! Oui, aujourd’hui, on ne peut pas séparer Tintin du capitaine Haddock et du professeur Tournesol, mais en ces temps reculés, 1938, Hergé n’a pas encore créé ces compagnons… Avec Halambique, il va continuer l’ébauche du savant… Il avait commencé dans "Les Cigares du Pharaon" avec quelques archéologues, puis dans "L’Oreille Cassée", un conservateur de musée, voilà maintenant un véritable savant… Mais on peut aussi signaler que ce savant a un jumeau, que chez Hergé ce n’est pas gratuit… c’est une façon de mettre en scène son père et son oncle, Alexis et Léon… Nous ne nous lancerons pas dans une psychanalyse à la petite semaine d’autant plus que Serge Tisseron l’a très bien fait dans deux ouvrages à lire impérativement si on veut approfondir sa connaissance de Hergé et de Tintin… Mais pour revenir aux personnages, le thème des jumeaux sera limité à terme aux Dupond(t)… Donc Halambique est un essai et Tournesol n’arrivera qu’avec le Trésor…
Tintin entre donc dans cette aventure, périlleuse comme souvent, un peu par hasard et sans tenir compte, bien évidemment des avertissements de Milou qui lui dit dès le début de l’album, avec cette voix de la sagesse que lui donne souvent Hergé : Tu as tort, Tintin ! Tu sais que ça ne te réussit jamais de t’occuper des affaires des autres… Mais Tintin n’écoute pas et le voilà pris dans une histoire étonnante et révélatrice des grands thèmes hergéens…
Je profite de la présentation de cet album, pour attirer votre attention sur certains éléments techniques. Hergé maîtrise l’art de raconter en image et il va distiller les éléments au fur et à mesure, dans le dessin et le texte. Il va aussi répartir le suspens en tenant compte des fins de pages droites, le moment où l’on va tourner la page, mais, aussi, celui où apparaîtront les deux mots magiques « à suivre », car ne l’oublions pas, la parution au départ est hebdomadaire et non instantanée en album… Alors regardons, dans le Sceptre, ces fins de pages droites, à partir de la page trois : chaque dernière case apporte une dose d’émotion, de suspens, met en haleine le lecteur… Une photo développée par des espions, la disparition de Milou, l’irruption d’un blessé, l’amnésie d’un témoin clef, une explosion, la chute de moto des Dupondt… Et vous pouvez retrouver cela dans presque tous les albums des aventures de Tintin… Mais revenons de façon plus spécifique à cet album « Le sceptre d’Ottokar » qui a été publié en 1939, en noir et blanc… La couleur ne viendra qu’après la guerre, après cinq éditions sans couleur…
Dans une Europe à l’avenir incertain, Hergé va raconter les tensions entre deux pays des Balkans, la Syldavie et la Bordurie. Certes, si ces pays n’existent pas, on a voulu depuis toujours leur donner un sens politique, ce qui était d’autant plus facile que c’est l’histoire d’un Anschluss raté… Bien sûr, il ne faut pas aller trop loin dans les comparaisons ! La Syldavie n’est pas la république d’Autriche, elle n’est pas une démocratie et la Bordurie, qui semble bien un état belliqueux et militaire, n’est pas, non plus, l’Allemagne nazie… mais ça y ressemble bien et, n’en déplaise à certains, c’est quand même le triomphe relatif de la Syldavie et non de la Bordurie auquel on assiste en fin d’album… La légitimité demeure malgré la force militaire et les tentatives malhonnêtes…
Se limiter à cette parodie d’Anschluss serait une mauvaise lecture car le Sceptre c’est aussi la recherche de la filiation. Si Muskar XII ne se présente pas devant son peuple, lors de la fête de la Saint Wladimir, chaque année, avec le sceptre d’Ottokar IV, il perd le droit de régner… L’enjeu, pour les traites à la solde des Bordures, sera donc de s’emparer de sceptre et pour Tintin de le rapporter au roi… Hergé se passionne tant pour la filiation qu’un peu plus tard il y consacrera un cycle complet, le Secret et le Trésor… Pourquoi ? Mais tout simplement parce qu’il a un secret de famille à cacher, les fameux Alexis et Léon ayant du sang extérieur à la famille, des bâtards comme on disait dans certains milieux, il n’y a pas encore si longtemps… La vie de Hergé n’explique pas tout dans les aventures de Tintin, mais elle donne quand même quelques clefs de compréhension, comme dans la littérature en général… Mais pour l’accepter, faut-il encore admettre que nous sommes bien en présence d’une œuvre littéraire au sens plein du terme…
Dès son arrivée, mouvementée, en Syldavie, le lecteur capable de lire l’alphabet cyrillique va se rendre compte que Hergé pratique une langue slave bien originale puisque nous pouvons la comprendre sans trop de difficultés. En fait, il prend le français, qu’il agrémente de patois bruxellois, dont je ne suis pas spécialiste mais que Daniel Justens et Alain Préaux ont analysé dans un excellent petit livre sur les origines bruxelloises de Tintin, et le tout en donnant des terminaisons slaves, « skaïa » en particulier… Il est donc facile d’aller à la gendarmaskaïa et avec plaisirskaïa, évidemment !
C’est dans cet album que Tintin va aussi rencontrer la fameuse diva, la grande et inoubliable Castafiore, seul personnage féminin du monde de Hergé… et quelle femme ! Une chanteuse d’opéra reconnue dans le monde entier, ce qui permettra de la croiser partout, mais très appréciée dans les Balkans car si elle est bien là dans le Sceptre, on va aussi la retrouver dans l’Affaire… Elle chante juste… Si ! Je sais que bien souvent, les lecteurs croient avoir affaire à une sorte d’Assurancetourix, une casserole musicale… Ici, je m’insurge complètement, si elle a bien une qualité c’est sa voix… Mais d’une part Hergé n’aime peut-être pas ce genre musical, c’est son droit, d’autre part, Tintin, dès son premier contact, doit supporter l’air des bijoux dans l’espace exigu d’une petite voiture… elle lui crie dans les oreilles en quelque sorte… qui aimerait une telle situation ? Mais pour clore ce débat sur la justesse de la voix de Bianca Castafiore, le rossignol milanais, elle chante parfaitement juste… Comment le prouver ? Regarder dans le Sceptre, page 28, lors de cette fameuse première rencontre… Quand elle chante, les notes, dans la bulle, sont justes (notes bien dessinées). Tandis que dans la voiture, celle qu’entend Tintin, elles sont déformées par le peu de volume disponible (notes toutes déformées).
Pour revenir à l’histoire elle-même, c’est Milou qui va jouer un grand rôle pour récupérer le sceptre et surtout le rapporter au palais… certes, c’est accessoire, mais ça montre bien que le duo Tintin-Milou est incontournable, ce n’est pas un simple jeu pour amuser les enfants… Ils se sauvent mutuellement régulièrement, ils sont amis… et Tintin qui n’aura jamais ni femme ni enfants se voit là muni d’une sorte d’enfant, de confident, d’autre lui-même…
Lui-même ! Oui, il ne faut pas que j’oublie de vous dire que dans la fin de l’album, il y a un noble Syldave à observer… On le voit au moins deux fois… Habillé en vert, c’est Hergé en personne… Oui, comme certain cinéaste, il aime parfois se mettre en scène dans ses histoires, à vous de le retrouver, ici ou ailleurs… Il faut savoir que cette apparition ne fait pas partie de l’édition originale en noir et blanc, elle date de la mise en couleur, lorsque Hergé a repris cet album avec son collaborateur du moment, Edgar P. Jacobs, l’auteur mythique des aventures de Blake et Mortimer. Lui aussi est présent dans le Sceptre, mais il est aussi dans un sarcophage des Cigares, dans la peau d’un ingénieur d’Objectif… Bref, voilà un nouveau jeu… Mais où sont passés Hergé et Jacobs ?
J’espère que je ne vous ai pas trop lassés et que vous avez envie maintenant de lire ou relire les aventures de Tintin et en particulier « Le sceptre d’Ottokar »… Bonne lecture…
(par shelton)
Omega-- Admin
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« L’Etoile mystérieuse »
« L’Etoile mystérieuse »
Une ville qui étouffe tant la chaleur est forte, les rats qui fuient à la recherche de la moindre fraîcheur, des pneumatiques de voitures qui explosent soudainement, le goudron qui commence à fondre, les plantes d’appartement qui meurent, et, enfin, un illuminé qui se prend pour un prophète et annonce la fin du monde… Il ne s’agit pas pour moi de prévoir l’avenir, de vous présenter de nouvelles théories sur le réchauffement de la planète mais bien de vous présenter un album des aventures de Tintin, « L’étoile mystérieuse ». Et dans cet épisode, tout commence avec des scènes que l’on aurait pu croire d’aujourd’hui alors que c’est en 1942 que Hergé l’écrivit…
On peut tout de suite préciser que c’est le premier album qui parut directement en couleur, qui a été conçu pour le format que l’on connaît pour les Tintin, les fameuses 62 pages. C’est banal pour les lecteurs d’aujourd’hui, mais ce fut une révolution, et très rapidement, Hergé et ceux qui vont, dès lors, travailler avec lui dans cette ébauche des studios Hergé, vont présenter au public des nouvelles versions des épisodes précédents, en couleur, certes, mais souvent entièrement repris et corrigés. C’est la naissance du style Hergé, de cette narration minimaliste – tout est dit et dessiné pour raconter une histoire, et tout ce qui est inutile à la narration est ôté – qui va bientôt porter le nom de ligne claire et dans laquelle s’illustreront de nombreux auteurs dont on retiendra, comme génie de ce mode narratif et graphique, Ted Benoît. Mais revenons à l’album…
Qui en est la star ? Oui, qui est l’étoile, dans cet album des aventures de Tintin ? Une étoile ! Mais elle est tout simplement mystérieuse… Nous allons voir cela ensemble, mais si c’est une étoile, la surprise ne sera pas longue… car, en effet, les étoiles sont présentes dès le début d’album et comme ce sont les stars, Tintin nous les montre et il n’est là que comme faire-valoir… Il est presque toujours de dos dans la première planche de « L’étoile mystérieuse » et il invite Milou à observer ces merveilles du ciel… Le pauvre Milou ayant levé la tête, s’étant cogné à un lampadaire, va en voir des étoiles, le pauvre… Mais c’est bien la preuve que Hergé est, en fait, très organisé et méthodique. Chaque épisode, ou presque, commence par un fait banal, ordinaire, qui donne la possibilité de plonger dans l’aventure… Tintin aperçoit une nouvelle étoile, une nouvelle venue qui s’est installée avec les habituelles de la Grande Ourse… et donc il va vouloir aller à l’observatoire pour en savoir plus… Car Tintin est un véritable curieux, ce qui l’entraîne souvent dans des histoires très mouvementées, ce qui va être encore le cas cette fois-ci…
Cette aventure est aussi, à mon avis, très bien construite et elle va avoir pour cadre les trois dimensions. Tout d’abord, elle est divisée en trois parties assez équilibrées. Une première pré-histoire, celle qui va se passer à terre, où tous les éléments se mettent en place… Une deuxième, en mer, ce qui donne la possibilité au capitaine Haddock, qui n’est arrivé dans la vie de Tintin que dans l’album précédent, Le crabe aux pinces d’or, de reprendre un commandement et d’affronter les mers déchaînées, « Une tempête ? Mais non. Un simple coup de tabac… ». Enfin, une troisième partie sur l’île elle-même, qui donnera l’occasion à Tintin de prendre les airs car le dernier déplacement, l’ultime mouvement vers cette île mystérieuse, s’effectuera en hydravion… Une histoire qui donc permet à Tintin de montrer qu’il n’est pas juste un petit journaliste mais bien un grand reporter, si on prend les mots d’aujourd’hui, et qu’il n’a peur de rien, ni des méchants, ni des éléments, ni de la fin du monde…
Quoique, pour ce dernier aspect, je suis un peu plus prudent. Dans Tintin, on ne meurt pas et donc l’angoisse de la mort d’Hergé ne transpire pas sauf dans quelques rares occasions. On peut se souvenir de la disparition de Tchang, l’ami de Tintin, qui, angoisse tellement le héros qu’il va affronter la très haute montagne pour tenter l’ultime chance de le tirer de la mort certaine… Là, dans L’étoile mystérieuse, nous voyons Tintin apprendre d’un savant que la fin du monde est pour demain… Notre jeune homme est alors complètement écrasé par la nouvelle, il déprime, il ne sait plus quoi faire… « La fin du monde, Milou ! La FIN du monde ! La fin du MONDE ! Comprends-tu Milou ? »… Il est tellement abattu, que lorsque les faits donnent tort à la science – simple erreur de calcul ! – il sort de chez lui et crie dans la rue comme un fou ! « Hourrah ! Hourrah ! Ce n’est qu’un tremblement de terre ! … » ce qui provoque la surprise des passants qui eux vivent un tremblement de terre qui semble avoir beaucoup détruit…
Mais il est complètement normal de voir cette angoisse se mettre en place dans l’œuvre de Hergé car au moment où il écrit nous sommes en pleine guerre mondiale… Alors, une fois n’est pas coutume, je vais vous montrer comment un auteur peut laisser découvrir certaines de ses idées, au travers d’un petit détail. En 1942, peu de personnes espéraient vraiment un débarquement des Américains pour sauver l’Europe… C’est le moins que l’on puisse dire ! Hergé est convaincu que c’est impossible – par idéologie ou pas, je ne répondrai pas à cette interrogation légitime mais délicate – mais dans l’album, il va mettre les Etats-Unis en échec de débarquement. C’est un tout petit quelque chose qu’il va enlever dès la deuxième édition. Les méchants, ceux qui veulent prendre de vitesse Tintin, pour prendre possession de l’île mystérieuse, nous y reviendrons, sont dotés d’une magnifique bannière étoilée qui sera remplacée pour les éditions futures par le drapeau d’un pays imaginaire, le Sao Rico… Mais ce n’est pas le seul détail que l’on peut retenir de cet album concernant les idées de Hergé, ces idées qui l’on met régulièrement au cœur des débats, à juste titre dans l’absolu, je le reconnais… Oui, deuxième élément, avant de revenir à l’histoire elle-même, il semble intéressant de se pencher sur le cas d’un des responsables des méchants, le banquier qui tire les ficelles de la machination anti-Tintin… Son nom est Blumenstein ! Oui, c’est un juif américain qui lutte contre Tintin, Tintin qui lui est soutenu par l’Europe, mais à cette époque, de quelle Europe s’agit-il ? Dans la version définitive, celle que l’on peut trouver en librairie aujourd’hui, les Etats-Unis sont remplacés par le Sao Rico, Blumestein par Bohlwinkel, mais je pense qu’une présentation complète de cet épisode de L’étoile mystérieuse devait aborder ces faits moins favorables à l’auteur. C’est pour cela que je m’annonce toujours comme tintinologue et non tintinophile… Comme quoi les mots ont une importance… enfin, pour moi, c’est sûr…
Mais revenons à « L’étoile mystérieuse ». Un aérolithe vient de heurter la terre. Ce ne fut pas la fin du monde, heureusement pour Tintin, enfin pour Hergé, mais Calys, directeur de l’observatoire, vient de découvrir que cette masse extra-terrestre contient un métal inconnu. Il lui donne le nom de calystène et veut être le premier sur place pour le récupérer… Aussitôt une expédition se monte et voilà l’aventure qui se profile. Le bateau choisi par les Européens, commandés par Calys en personne, sera l’Aurore. Le commandement est donné au capitaine Haddock. Mais, reconnaissons que ce bateau ne donna jamais satisfaction à Hergé. C’est l’un des seuls qu’il a dessiné sans maquette, directement, sans aucun modèle. Il a avoué que probablement ce navire n’aurait jamais pu naviguer, affronter les tempêtes, croiser les icebergs, bref, il aurait coulé tout de suite… Heureusement, dans la bande dessinée, les problèmes techniques de cette nature n’ont pas trop de conséquences et le navire connaîtra seulement une petite avarie en fin d’histoire, une broutille.
Si on prend le temps de regarder le graphisme de l’étoile mystérieuse, on constate qu’Hergé commence à soigner de façon très méthodique le mouvement. Je dis souvent qu’Hergé est le premier à avoir fait d’une image fixe une image qui vit, qui bouge… Pour cela, il utilise plusieurs méthodes, souvent combinées.
Souvent, il commence par isoler le mouvement. Quant à la page 15, Tintin, qui vient de monter à bord de l’Aurore, se prend le pied gauche dans un cordage, on ne voit que cela. Pas de décor inutile, de personnages complémentaires… non, seulement Tintin en train de tomber. Deuxième élément, il ne cherche pas à faire du réalisme, il raconte tout simplement. Donc, parfois, les positions des personnages sont atypiques, accompagnés de petits traits qui donnent des impressions de vitesse, de mouvement, d’impact et qui font vivre le dessin… Prenez cet album, oubliez le texte, ne regardez plus que les séquences de mouvement… De la première page à la dernière, ça bouge partout ! Enfin, sur la dernière, ça saute carrément…
Certaines séquences sont remarquables dans ce domaine du mouvement. Observez Philippulus le prophète fou dans les cordages de l’Aurore, Tintin prenant l’air à lavant de l’Aurore, les scientifiques ayant le mal de mer, Milou sauvé de la noyade par Tintin, Milou volant, enfin, tentant de voler les spaghettis… Toutes ces images pourraient être données en exemple aux jeunes souhaitant devenir dessinateurs de bédés…
Mais « L’étoile mystérieuse » est un album particulier à un tout autre titre. En effet, Hergé qui jusqu’à ce moment là était resté très réaliste dans le fond de ses intrigues ouvre la porte du fantastique. Seul, à priori à la différence de « Vol 714 pour Sydney » où le fantastique sortait de l’imagination de Bob de Moor…
Tout se passe sur l’île, sur l’aérolite, où le pauvre Tintin est confronté à la taille anormale des êtres vivants qui s’y reproduisent, champignons, araignée, libellule et pommier… Il a l’impression d’être arrivé dans un monde d’une autre dimension, ce qui n’est pas complètement faux puisqu’il vient de prendre pied sur un ersatz de monde extra-terrestre… Cette situation permet aussi à Hergé de laisser son imagination fonctionner à plein, son dessin d’atteindre des excès qu’il ignorait jusqu’alors… Mais c’est aussi une façon de jouer avec les nerfs des lecteurs, car une pomme géante assomme Tintin au moment où la mer est sur le point de submerger l’île…
Dans cet album, on peut aussi découvrir des petites choses bien sympathiques, ces petits clins d’œil que l’auteur sème pour notre bonheur… Citons, pêle-mêle, les caramels mous, bonbons adorés par le savant astronome Hippolyte Calys, le chargement des bouteilles de whisky du capitaine Haddock, pourtant président d’honneur du comité des marins anti-alcooliques, la choucroute garnie dont Milou a avalé la garniture, la présence du savant bien réel Auguste Piccard au moment du départ de l’Aurore et quelques gags visuels dont la pipe en page 61 (allez vite voir…).
Voilà donc un album intéressant que j’ai tenté de vous présenter avec honnêteté de façon à vous donner envie de le lire ou le relire, de comparer les deux versions actuellement disponibles en librairie, la revue et corrigée, mais aussi la première que les éditions Casterman remettent en vente actuellement en fac-similé… même quand ce n’est pas strictement à l’honneur de l’auteur…
Donc, bonne lecture…
(par shelton)
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« Tintin au Tibet »
« Tintin au Tibet »
Voici le moment de prolonger notre voyage commun au pays de Tintin et de ses amis. L’univers d’Hergé est magnifique, le créateur est génial, tout le monde semble en convenir, ce qui n’empêche pas les ambiguïtés ni les incompréhensions des lecteurs et des critiques… Mais, ici, l’objectif n’est pas de détruire mais de faire connaître, de partager des instants de bonheur de lecteur et de se souvenir de ces albums qui ont tant bercé de jeunesses…
Vous avez pu aussi constater que nous ne visitions pas les albums dans l’ordre chronologique. C’est un parti pris, celui d’ouvrir les albums en fonction de l’humeur du jour, à la recherche d’un instant de plaisir, d’un moment de bonheur, de picorer comme bon nous semble… Aujourd’hui, le moment est venu d’ouvrir ensemble « Tintin au Tibet », un livre unique en son genre, inégalable, étonnant et atypique dans l’ensemble de la collection des Tintin…
« Tintin au Tibet » est d’abord une histoire sans méchant. Adieu les frères Loiseau, monsieur Rastapopoulos, docteur Muller et traîtres bordures, militaires en en attente de révolution et autres méchants plus éphémères… Ici, rien de tout cela, seulement la fatalité, la nature, un animal mythique… En fait, l’auteur va se livrer beaucoup plus que dans les autres albums, il va montrer sa crainte, son angoisse de la mort… Dès le départ, on va rapidement pénétrer la quête de Tintin, celle d’Hergé, bien-sûr, c’est à dire la marche en avant de Tintin qui veut sauver son ami de la mort. Au départ, on croit que cette mort relèverait de la fatalité – l’accident d’avion – mais, en fait, Tchang a survécu à l’accident et il faut le tirer des pattes – des mains, peut-être – du Yeti, l’abominable homme des neiges… Mais, le méchant, me direz-vous, nous l’avons, c’est le Yeti… Non ! Les apparences sont contre lui, mais, en fin de compte, nous allons comprendre que l’animal ne peut pas être méchant, « Moi, je souhaite qu’on ne le trouve jamais, car on le traiterait comme une bête sauvage. Et pourtant, je t’assure, Tintin, il a agi avec moi d’une telle façon que je me suis parfois demandé si ce n’était pas un être humain… ». Mais ne brûlons pas les étapes et revenons à l’album…
Tout commence par une situation inhabituelle pour Tintin. Il est en vacances. A la montagne… Il réside à l’hôtel des sommets, il se promène – un peu trop de l’avis de Milou qui se plaint car « courir du matin au soir sur des cailloux pointus » ce n’est pas une vie de chien – et il passe de bien agréables soirées en compagnie du capitaine Haddock, dîners paisibles, parties d’échecs sans surprises et…
Oui, de temps en temps, les choses peuvent se dérégler surtout quand Tintin commence à avoir des visions ou des rêves prémonitoires… Tchang l’ami de Tintin, celui qu’il a sauvé de la noyade lors de son passage en Chine, doit venir en Europe… mais, voilà, il semble bien que l’avion ait heurté la montagne, qu’il se soit crashé du côté du Népal ou du Tibet… Tchang est-il mort, Tout semble le montrer, le prouver… Mais Hergé, euh, non, Tintin ne semble pas pouvoir accepter cette mort : « Tchang ! Mon pauvre Tchang ! Si gentil ! Nous ne le verrons plus jamais ! Plus jamais ! Et puis, non ! Tchang n’est pas mort ! ». C’est le refus de l’évidence et alors nous voyons Tintin partir dans une quête impossible pour sauver Tchang de la mort… Tintin doit aller rechercher au plus profond de lui l’énergie salvatrice pour se mettre en marche, pour convaincre Haddock de l’accompagner et, enfin, sauver l’ami. Hergé nous montre, à cette occasion, que, pour lui, l’amitié est le sentiment le plus fort. L’amitié plus forte que la mort !
Comme cet album arrive au moment où l’auteur vit des temps difficiles, où il s’interroge sur sa place sur terre, sur son existence, sur ce qu’est l’amour, l’amitié, où il suit une thérapie… on peut se dire que c’est l’album le plus profond, le plus authentique de cet homme. Il se sauve en écrivant, ou se sauve pour finir son album… L’album étant le symbole de la survie, de la vie éternelle, si Tintin vit dans une histoire, surtout s’il revient du Tibet avec son ami, alors c’est que lui, Hergé, survivra à tout, y compris à cette vie terrestre qui semble l’ennuyer… Relisez Tintin au Tibet avec ce souci de survie et vous allez comprendre des phrases que vous n’aviez pas gardées en mémoire…
Mais revenons à l’album proprement dit… Tchang, enfin son avion plus exactement, s’est écrasé dans la montagne, du côté de Katmandou… alors il est grand temps de boucler les valises et de prendre l’avion…
Comme vous pouvez le constater, le sujet est grave et pourtant du début à la fin de l’épisode, les scènes humoristiques vont être très nombreuses. Il faut dire que dans cet album, Hergé donne un rôle spécial au capitaine Haddock : chaque fois tu apparaîtras dans un dessin, une vignette, une séquence… tu devras faire rire le lecteur, c’est ta mission, va et amuse mon public fidèle !
Et il va la remplir cette mission, sans hésitation, avec beaucoup d’énergie mais aussi de tendresse… Pour cela, Hergé utilise tous les défauts et toutes les qualités du capitaine : mauvais caractère, vocabulaire imagé, cœur d’artichaut, alcoolisme, amitié pour Tintin… Mais c’est aussi l’occasion de rire avec ce qui, un peu plus loin, sera élément tragique, la nature et l’animal.
Pour aller à Katmandou, Tintin et Haddock vont faire escale à New Delhi, occasion, entre deux avions, de faire un peu de tourisme mais aussi de faire connaissance avec les vaches sacrées. Haddock est alors emporté de façon surprenante dans une course éperdue à travers la ville sur une de ces vaches. Mais l’animal n’est pas fondamentalement méchant, elle est prise dans une situation qu’elle n’a pas provoquée, elle nuit à Haddock qui est sur le point de rater sa correspondance, mais tout se finit bien… comme ce sera le cas avec Tchang et le Yeti… Ce dernier étant aussi un animal sacré… C’est un peu aussi, comme si l’élément divin était capable de ballotter l’homme, de le mettre en danger mais pas de l’éliminer complètement !
Pour la nature, c’est plus simple, plus amusant… Il s’agira de la dégustation discrète de piments rouges en train de sécher, à Katmandou. Certes, Haddock, la bouche en feu, est obligé de plonger la tête dans un puits, mais il survit sans problème… La montagne fera peur, mettra en danger mais la survie sera bien au rendez-vous ! C’est comme ça que je vois ces deux scènes initiales, un clin d’œil, une tranche de rire, mais aussi une annonciation sur la fin positive de l’histoire…
Mais Haddock, nous l’avons dit, est ici avant tout pour nous faire rire. Prenons quelques séquences illustrant cet aspect : sa chute de la passerelle d’embarquement, le chargement des bouteilles de whisky dans son sac à dos, sa cuite en marchant, la traversée d’une rivière sur un petit pont de fortune, sa barbe prise dans la fermeture éclair de son duvet, sa colère devant sa bouteille vidée par le Yeti, l’explosion de son réchaud à gaz, son sifflement aigu pour avertir Tintin de l’arrivée du Yeti… Bref tout est occasion de rire dans une ambiance pourtant lourde…
Mais, à travers ce personnage spécial, il y a toute une étude des mots. Chez Haddock les gros mots, les insultes sont remplacées par des mots du dictionnaire, des noms communs, des mots compliqués, au sens cachés, qui surprennent, qui étonnent mais donnent, parfois des éléments de compréhension de l’histoire, de la philosophie et de la conception de la vie de l’auteur… Mais, allons encore plus loin et écoutons comment est traité le Yeti par l’ensemble des personnages. Laissons-nous aller, prenons les mots comme ils viennent : « le Yeti, l’abominable homme des neiges, lui très grand, assommer yacks avec son poing, très méchant, manger yeux et mains hommes, lui très fort, espèce de Cro-Magnon, mamelouk, vampire, soûlographe, trompe-la-mort, macrocéphale, amphitryon, rocambole, ectoplasme, phylloxéra, cannibale, diplodocus, flibustier, mégalomane, boit-sans-soif, lâche, coloquinte, cyanure, anthropopithèque, satrape, ectoplasme, espèce de loup-garou à la graisse de renoncule de mille tonnerres de Brest, moule à gaufres… ». Et puis, les choses évoluent, Haddock le voit, il en perd ses mots : « Le yéto là-hi ! Le yéya là-ti ! Le téyi ho-là ! Flûte ! Le truc, enfin ! Le Yeti, quoi ! ». A partir de ce moment-là, l’animal terrifiant change de statut, progressivement, pour devenir celui qui va sauver Tchang et qui versera quelques larmes au moment où le jeune ami de Tintin regagnera la civilisation… Mais le changement n’est pas du tout instantané puisque même les moines de Khor-Biyong craignent terriblement le Migou, autre nom du Yeti. Tintin doit prendre sur lui pour aller encore plus loin, convaincre Haddock, puis enfin ouvrir ses oreilles au récit de Tchang qui révèlera la véritable nature du Yeti : « Il semble qu’il se soit rapidement attaché à moi… Pauvre homme-des-neiges, comme il a eu peur… Il a pris soin de moi. Sans lui, je serais mort de froid et de fin. ».
Mais si le lecteur peut découvrir la véritable nature, âme du Yeti, c’est parce que Tintin en ami fidèle refuse la mort de Tchang. Il aurait eu mille bonnes raisons de stopper ses recherches dans le massif de l’Himalaya, mais non, il va jusqu’au bout, au bout des ses forces, au bout de lui-même… Comme Hergé qui va au bout de sa thérapie !
« Mais, au nom du ciel ! Qu’est-il devenu ?… Adieu, Tchang !… Adieu… Bon, yeti ou pas yeti, moi, je continue… Tchang est passé par ici, il faut suivre cette piste jusqu’au bout ! ».
C’est le grand Précieux du monastère qui donne la vérité : « ce que tu as fait, peu d’hommes auraient osé l’entreprendre. Sois béni, Cœur Pur, sois béni pour la ferveur de ton amitié, pour ton audace et pour ta ténacité ! ».
Dès lors, on peut refermer l’album en se demandant si nous aurions eu le même comportement pour sauver notre meilleur ami ?
Il me reste deux ou trois interrogations sur ce « Tintin au Tibet » qui fait partie des Tintin que j’aime beaucoup. Pourquoi Hergé ne remet-il plus Tchang dans la vie de tintin ? On les voit quitter la haute montagne mais on aurait aimé en savoir plus, voir comment aurait réagi Tchang au contact de civilisation européenne ? Mais Hergé est peut-être d’autant plus discret que Tchang est un de ses amis et non une invention de romancier, de scénariste…
Ma deuxième question est plus fondamentale. Il y a trois ans, j’ai scénarisé une exposition sur les plantes et les animaux dans la bande dessinée, nous avions pu exposer une empreinte du Yeti, prêtée par un musée de Lausanne… Mais aucune photo ! Alors, oui, mon doute est bien réel, ma question quasi existentielle… Le Yeti existe-t-il ? Si l’un d’entre vous peut me tenir au courrant de ses expériences dans ce domaine… je suis preneur !
Un album extraordinaire à lire pour ceux qui ne le connaissent pas encore, à relire pour les autres, mais surtout à ne pas oublier… pour permettre à Hergé de continuer à vivre…
(par shelton)
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« Tintin et les Picaros »
« Tintin et les Picaros »
Puisqu’il y en a qui aiment les chroniques Tintin, même quand elles sont très, trop, longues... en voilà une nouvelle :
C’est en 1976, que parut cet album qui est le dernier achevé par Hergé puisque « L’Alph-Art » n’est resté qu’à l’état d’ébauche. Les lecteurs fanatiques auront du attendre assez longtemps, huit ans s’étant écoulés depuis la sortie du précédent, « Vol 714 pour Sydney ».
Mais, pour ces lecteurs impatients, le résultat aura-t-il été à la hauteur des espérances ? Ce dernier Tintin a-t-il fait rêver ? Ce sont ces questions qui m’ont porté dans la préparation de cette chronique et j’espère que nous allons pouvoir repartir ensemble avec des éléments de réponse…
Tout commence avec une première planche étonnante puisque nous allons voir Tintin rentrer d’une ballade en moto, sans son pantalon traditionnel de golfeur, avec un casque orné du symbole des hippies des années soixante dix, Peace and Love, et, encore plus fou, Haddock cracher une gorgée de whisky !!!
Mais, si pour le look de Tintin il n’y aura pas d’explication particulière, pour le comportement du capitaine Haddock, les choses se préciseront au fur et à mesure…
Tintin et Haddock sont donc au château de Moulinsart et leur tranquillité vient être perturbée par les médias. C’est tout d’abord l’annonce par la presse, Paris-Flash, de la tournée de la célèbre cantatrice Bianca Castafiore en Amérique du Sud. Puis le reportage télévisé – tiens la télé est en couleur ! – de l’arrivée de la célèbre milanaise à Tapiocapolis… Cela permet de donner aux lecteurs de très nombreuses informations qui vont servir pour la suite de l’aventure… La Castafiore chante toujours, juste bien sûr, même si certains n’aiment toujours pas l’opéra, qu’elle est toujours accompagnée de son pianiste Igor Wagner et sa dame de compagnie Irma. Que c’est le général Tapioca qui dirige le San Theodoros, après avoir écarté son rival, cette vieille connaissance de Tintin, le général Alcazar. Ce dernier a pris le maquis avec ses dangereux guérilleros, les Picaros. De son côté, le général Tapioca, véritable dictateur, aidé par la Bordurie, a débaptisé la capitale qui est devenue Tapiocapolis.
On s’aperçoit qu’Hergé a voulu très rapidement créer des liens avec ses anciens albums. Le général Alcazar est apparu dans « L’oreille cassée » pour la première fois mais est revenu régulièrement : en lanceur de couteaux dans « Les 7 boules de cristal » ou en acheteur d’armement dans « Coke en stock »… Mais il va encore plus loin, puisque très rapidement, on voit les Dupondt accompagnant la Castafiore pour assurer sa sécurité, on voit le très fameux Séraphin Lampion, assureur, se préoccuper de l’assurance des bijoux de la diva, et, enfin, Tournesol et Nestor. Nestor semble d’ailleurs avoir vieilli, écouter derrière les portes et tester la qualité du whisky… Serait-il en train de sombrer dans l’alcoolisme ? Nous ne le saurons pas… Même les journalistes Jean-Loup de la Batellerie et Walter Rizotto seront de la fête, on avait fait leur connaissance dans « Les bijoux de la Castafiore »…
Mais ce n’est pas en convoquant tous les anciens personnages des aventures de Tintin que l’on écrit une nouvelle histoire. Mais Hergé ne semble pas pressé. Tout se met en place, le général Tapioca fait arrêter les Dupondt, la Castafiore, Wagner et Irma, porte des accusations très graves contre les héros de Moulinsart… Mais Tintin semble hésiter, attendre, un peu comme Hergé qui prend huit ans pour offrir une nouvelle histoire.
On peut véritablement se demander si les Picaros n’est pas l’album de trop, ou plus précisément l’album contraint… Voici quelques phrases de tintin prises dans cet épisode : « Oui, ou bien nous nous retrouverons tous en prison, comme Bianca Castafiore. Merci bien… » Tintin ne nous avait pas habitués à tant de passivité, lui qui était prêt à parcourir le monde pour sauver un ami… « Vous partez peut-être, capitaine ! Mais moi, je ne pars pas !!! » Lui qui avait forcé la main plus d’une fois à Haddock, dans « L’étoile mystérieuse » ou dans « Tintin au Tibet », le voilà en retrait. Si en retrait que Haddock et Tournesol partiront les premiers… Cette absence momentanée de Tintin permettra une série de 9 planches sans Tintin, peut-être un record dans le genre, à vérifier quand même… Pour rester dans ce domaine de l’absence de désir d’aventure chez tintin, sa dernière phrase de l’album est significative. Quand Haddock lui dit sa satisfaction de rentrer à Moulinsart, il répond tout simplement, de façon très inhabituelle, « moi aussi, capitaine… ».
Mais entre ces phrases, il y a, quand même, une histoire, et puisque la Castafiore est en prison, puisque les Dupondt sont condamnés à mort, il faudra bien les sauver… Alors qui et comment ? Arrivons-en au cœur de cet album…
Il s’agit d’une grande manipulation organisée contre Tintin et ses amis pour d’une part empêcher le général Alcazar de reprendre le pouvoir et, d’autre part, de se venger d’une humiliation qui date de quelques années. En effet, lors de L’affaire Tournesol, le colonel Sponsz, responsable de la détention du professeur, s’était fait mystifier par Tintin et Haddock… et la vengeance est un plat qui se mange froid, l’heure est venue de passer à table… Pourquoi ? Tout simplement parce que le colonel Sponsz a été affecté comme conseiller technique auprès du général Tapioca. Il a hispanisé son nom, il est devenu le colonel Esponja. C’est lui qui veut voir Tintin et Haddock se précipiter au secours de la Castafiore pour, enfin, tous les éliminer… et comme il faut aussi se débarrasser du général Alcazar, la machinerie sera de très haute conception… et il ne faut pas que je vous en dise trop…
Mais, comme nous l’avons déjà fait avec d’autres albums, il est intéressant de se poser quelques questions sur la vision politique d’Hergé, à travers cet album et non en partant des différentes rumeurs qui ont circulées à son sujet. Les deux généraux, Alcazar et Tapioca, sont deux crapules, deux dictateurs potentiels et aucun ne peut symboliser l’avènement prochain d’une démocratie au San Theodoros. L’un est supporté, poussé, conseillé, armé, financé par la Bordurie, un Etat que l’on sait depuis longtemps mauvais et dont les structures ressemblent fort aux régimes des démocraties populaires. Mais le prétendant n’est guère plus sympathique, il ne rêve que d’exécution capitale pour tous les traîtres, et pour se retrouver dans cette catégorie, il suffit d’avoir, d’émettre une idée légèrement différente de celle du général déchu… De plus les guérilleros sont soutenus par l’International Banana Company… Devant cette situation, Tintin ne va pas choisir. On a l’impression qu’il refuse de prendre parti. Il va tout faire pour sauver ses amis, il a compris que le général Alcazar pourrait être un allié de qualité, alors il fera cause commune avec lui. Mais comme Tintin ne peut pas se salir avec des compromissions inacceptables, Hergé va demander à son jeune héros de pousser Alcazar à s’engager de façon formelle à ne pas procéder à des exécutions capitales lors de la révolution. Il le fera sous la contrainte morale mais on sent bien que dès que les amis de Tintin seront rentrés chez eux le dictateur reprendra le cours normal de sa politique… Hergé semble étranger à ce monde bouleversé par les grands affrontements idéologiques. C’est un peu comme s’il portait encore les séquelles de ses engagements du passé, contre le communisme, pour une certaine droite européenne… Il est comme Tintin, on le sort de force de son château, c’est à dire de ce lieu où il peut vivre sans se soucier du reste du monde, et il est pressé d’y retourner… Du coup, je pense qu’il ne faut pas chercher trop de sens politique dans cet album qui me semble plus nostalgique que militant…
Nostalgique, car on a l’impression qu’Hergé sait qu’il arrive à la fin de ses travaux. Maladie, fatigue, lassitude, impression d’avoir tout dit, tout fait… probablement un peu de tout ça, mais surtout, comme il a demandé de façon très claire que jamais personne ne reprenne le personnage de Tintin, il lui faut saluer tous ses personnages dans une dernière aventure, et cet album, « Tintin et les Picaros », joue ce rôle. On y retrouve l’explorateur anglais Ridgewell et le peuple des Arumbayas que l’on avait plus croisés depuis l’Oreille cassée.
Cette façon de re-convoquer tous les personnages créés, c’est aussi, et encore, une méthode de lutter contre le vieillissement et la mort, la plus grande des angoisses d’Hergé, j’en suis sûr… L’oreille cassée, c’était en 1935, les Picaros en 1976, plus de quarante ans d’écart et le général Alcazar n’a pas pris une ride, les Arumbayas ne savent toujours pas jouer au golf et l’explorateur anglais, déjà très âgé à l’époque est encore là bien en vie… La bande dessinée rendrait-elle éternelle ? C’est ce que souhaite, sans aucun doute Hergé lui-même…
Mais je dois avouer que ce n’est pas mon album préféré. Je le trouve assez superficiel, manquant de consistance au niveau du scénario, sans véritable surprise… Je trouve que l’auteur est arrivé à son zénith avec Les bijoux de la Castafiore et qu’après il tente seulement de faire survivre Tintin pour rester en vie lui-même… Heureusement, pour le lecteur, il y a quelques bonnes choses à découvrir au gré de vos observations de lecteurs attentifs…
Nous commencerons par Tournesol qui n’a jamais été aussi sourd et du coup décalé du début à la fin… mais qui est aussi un des sauveurs de la Castafiore qu’il admire depuis longtemps au fond de lui…
J’aime aussi les séquences de la Castafiore qui semble avoir pris un coup de jeunesse et avec qui je partage le goût pour les pâtes « al dente »…
La pyramide paztèque me plait bien et je trouve qu’Hergé a toujours le chic pour donner des noms à des peuples et des civilisations du passé… même si le vertige de Tournesol nous empêche d’en profiter pleinement.
Comme nous sommes dans une forêt d’Amérique du Sud, il fallait des animaux. Ils sont bien là, anaconda, caïman, singes… Mais c’est la séquence avec le gymnote qui permet à Hergé de réaliser une série de ces beaux dessins pleins de mouvement dont il a le secret… et j’aime beaucoup ça !
Il ne vous restera plus qu’à trouver l’endroit où Hergé rend un petit hommage à Goscinny et Uderzo… Auteurs qui rendront la monnaie de la pièce dans leur album suivant, Astérix chez les Belges, avec un duo bien hergéen…
Mais si le San Theodoros a changé en un album de gouvernement, vous pourrez constater que les bidonvilles de la capitale ne changent pas, c’est un peu comme dans la réalité, comme quoi Hergé est bien un auteur réaliste…
Et si, maintenant, vous alliez vérifier vous-mêmes ce que je viens de vous affirmer ? Bonne lecture !
(par shelton)
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« Vol 714 pour Sydney »
« Vol 714 pour Sydney »
Comme il n’y que 24 aventures de Tintin, vous avez la certitude que ça finira par cesser...
Ah ! Il en aura fallu de la patience aux lecteurs du journal Tintin pour découvrir une nouvelle histoire de Tintin et Milou. Quatre ans d’attente courageuse ! Certes, ils avaient confiance mais ils ne sentaient pas de la part d’Hergé le même enthousiasme qu’auparavant… Après « Les bijoux de la Castafiore », tous les tintinologues, eux, se demandaient comment Hergé allait pouvoir faire un nouvel album des aventures de Tintin. Comment inventer une nouvelle forme d’histoire ? Comment dépasser le génie créatif des Bijoux ? Comment se parodier encore plus qu’en proposant une aventure à l’intérieur du château de Moulinsart ? Le défi était placé très haut, mais nous allons voir comment Hergé le releva et, surtout, comment Bob de Moor l’aida à concrétiser tout cela…
Dès le départ, on croit plutôt à une histoire banale. Tintin, Haddock et Tournesol sont en voyage. Les voilà arrivant sur l’île de Java, en transit pour Sydney. Ils sont donc déjà à l’autre bout du monde, Haddock a soif et Tournesol n’entend rien, tout est donc complètement normal…
Mais dès le début de l’épisode, on se rend compte qu’Hergé et les personnes qui travaillent avec lui au sein des studios Hergé maîtrisent de mieux en mieux leur art. Si la bédé est un art narratif, alors « Vol 714 pour Sydney » devrait être donné en exemple systématiquement, surtout la première partie de l’album. En effet, tout y est : suspens bien réparti et organisé, surtout dans les bas de page de droite ; vignettes débordantes de mouvement, spécialité d’Hergé mais qui là devient un expert ; très beau travail d’expression des pensées des personnages ; utilisation d’idéogrammes et pictogrammes, petits dessins qui à l’intérieur de bulles peuvent permettre d’exprimer des mots, des phrases, des idées, voir des histoires complètes comme c’est le cas page 2 ; enfin, rencontre avec un personnage rencontré lors d’un épisode précédent… Mais reprenons certains de ces éléments qui méritent plus qu’une simple énumération.
Le mouvement dans la vignette… Je vous ai déjà expliqué qu’Hergé était un génie du mouvement dans l’image fixe, mais il nous le démontre encore dès le départ de cet épisode… Regardons ensemble Haddock se prendre les pieds dans la valise et tomber dans les bras de ce pauvre Szut, Haddock, encore lui, surpris par le cri de Milou qui se fait écraser la patte par un inconnu, Monsieur Carreidas éclater de rire, ce qui est très rare, Tintin se prendre un coup de porte de cabine téléphonique sur les fesses, et, enfin, ce cher Tryphon Tournesol faire une démonstration de savate, sport qu’il pratiquait dans sa jeunesse et… Regardez cette magnifique vignette de la page 7, une des rares où Hergé choisit de faire sortir des éléments du cadre, une chaussure et une bulle… Ainsi il augmente l’énergie et la sensation de mouvement, effet accentué par les trois petites vignettes qui suivent sans aucun texte… Je n’en dirai pas plus sur le mouvement dans cet album, mais tentez de le relire en ne regardant plus que la dynamique hergéenne qui est présente du début à la fin, peut-être même encore plus à la fin durant l’éruption volcanique…
Pour ce qui est du suspens, il faut encore rappeler que les aventures de Tintin passaient généralement en feuilleton dans le journal de Tintin et que le petit mot magique « à suivre » se trouvait en bas de la page de droite… Prenons deux exemples parmi tant d’autres… Page 33, la vignette est remarquable : la rencontre entre Allan et Tintin. C’est la surprise totale des deux protagonistes. Ils étaient en mouvement et les voilà face à face à l’arrêt. Hergé sait saisir cet instant et lui donner toute son importance. Que va-t-il se passer ? Qui tirera le premier ? Comment Tintin s’en sortira-t-il ? On ne peut que tourner la page, attendre une semaine pour lire la suite… Mêmes éléments avec la fin de la page 45. Haddock, Tintin et Mik Ezdanitoff discutent ensemble quand soudain un cri horrible se fait entendre… Qu’est-ce que c’est ? Un nouveau danger ? Une souffrance ? Il faudra, là aussi, tourner la page pour comprendre de quoi il s’agit…
Mais revenons à l’histoire proprement dite. Hergé avait l’intention, un jour, d’écrire une histoire qui se passe entièrement dans un aéroport. Pourquoi ? « J’ai une idée, ou plutôt, une fois encore, j’ai un lien, un décor : j’aimerais que tout se passe dans un aéroport, du début à la fin. L’aéroport est un centre riche de possibilités humaines, un point de convergence de diverses nationalités : le monde entier se retrouve en réduction, dans un aéroport ! Là, tout peut arriver, des tragédies, des gags, de l’exotisme, de l’aventure… » Mais ce projet ne verra jamais le jour. Il essayera après Vol 714 mais finalement ce sera dans cet album qui racontera sa plus grande séquence se déroulant dans un aéroport…
Tintin, Haddock et Tournesol sont en voyage, pas à la recherche d’une aventure mais en route pour un congrès international d’astronautique car ce sont eux qui ont été les premiers à marcher sur la lune… Mais dans l’aéroport, ils commencent par rencontrer Szut, un pilote que l’on avait croisé dans « Coke en stock »… Mais que fait ce pilote ici… Il est le pilote personnel de Laszlo Carreidas, un célèbre milliardaire constructeur d’aéronefs… qui va, lui aussi, à ce célèbre congrès de Sydney… Lui aussi est un homme important de ce milieu, une sorte de Marcel Dassault, on dit que le constructeur français a bien servi de modèle à Hergé. Les présentations étant rapides, le courant passant bien entre le milliardaire taciturne et Tournesol, les voilà invités à prendre place dans le spécial Carreidas 160, un magnifique tri réacteur…
Mais voilà, c’est en quittant l’aéroport que le mécanisme de l’aventure enferme Tintin et ses amis dans un nouvel épisode tumultueux. En effet, entre Kemajoran, lieu de l’escale, et Sydney, lieu de destination, Hergé a caché, sur une île du Pacifique, Pulau-pulau Bompa, l’ignoble Rastapopoulos…
Cet horrible méchant par excellence n’est pas mort à l’issue de « Coke en stock », non il a survécu contrairement à ce que pensait Tintin, et il avait décidé de se refaire en plumant un infect milliardaire… Mais puisque qu’il se trouve en possession de tous ses ennemis, il va en profiter en se vengeant une bonne fois pour toutes de ce Tintin, de ce Haddock, de ce Tournesol… Il est à noter que le second de Rastapopoulos est l’ancien second de Haddock, lorsqu’ils naviguaient sur le Karaboudjan, le triste Allan, ordure parmi les ordures qui a déjà eu l’occasion de trahir Haddock…
Le sauveur sera, tout d’abord Milou. C’est très important de comprendre que, si parfois Tintin se met en danger pour sauver Milou – nous ne citerons que « Le Temple du Soleil » et « Tintin au Tibet » – il y a d’autres situations où c’est ce brave petit chien qui sauve son maître. Et c’est bien le cas dans Vol 714. Dès son arrivée sur l’île, le chien prend sa liberté, déclenchant une salve de mitraillette… mais, du coup, il est disponible pour aider Tintin, ce qu’il fera très rapidement en venant défaire les liens de Tintin… Ainsi, le combat entre bons et méchants peut commencer, grâce à Milou !
Sur l’île, le scénario est enrichi par la présence d’un docteur très particulier, le docteur Krollspell, qui ressemble vraiment à un ancien nazi… Son sérum de vérité sera à la source de plusieurs gags… Et c’est bien le talent d’Hergé de faire rire tout en racontant des histoires graves…
Mais Hergé ne savait peut-être pas comment finir cette histoire… Ou, Bob de Moor, un jeune artiste qui est entré aux Studios Hergé en 1950 avait envie d’innover un peu, allez savoir… C’est lui qui a modernisé l’album « L’île noire ». Mais dans les derniers albums de Tintin, il prend une part de plus en plus grande si bien que certains pensent que Vol 714, en particulier la dernière partie de l’album, est le fruit de l’imagination et du travail de Bob de Moor. J’en suis convaincu, il suffit de lire d’autres travaux de l’artiste pour comprendre… Il ne se contente jamais d’un réalisme classique à la Hergé, il faut un peu plus de fantastique, voir de science fiction, ou un savant mélange des deux comme dans l’album des aventures de Blake et Mortimer qu’il a terminé, amélioré, Mortimer contre Mortimer, le second volet des Trois formules du professeur Sato… Alors, de quoi s’agit-il dans « Vol 714 pour Sydney » ? De la venue d’extraterrestres dans les aventures de Tintin… Si… Si…
Oui, ça peut surprendre ceux qui ne connaissent que peu Tintin et n’ont jamais lu « Vol 714 pour Sydney », mais c’est vrai que Mik Ezdanitoff arrive soudainement dans cette histoire, qu’il va sauver nos héros, qu’il les hypnotisera avant pour que l’on ne parle jamais du rôle de son peuple… et que Hergé, ou Bob de Moor, combinera l’action d’un volcan pour donner aux dernières pages un aspect très particulier, fort dangereux, pendant lesquelles Carreidas, Tintin, Haddock, Tournesol, Milou, Rastapopoulos frôleront la mort… Mais, pour être honnête, il faut préciser que Hergé était effectivement passionné par les extraterrestres, les phénomènes paranormaux… Donc le travail avec Bob de Moor fut probablement concerté…
Mais on ne sait pas ce que devient Rastapopoulos… Hergé avait-il l’intention de le réutiliser ? On ne saura jamais, mais au moins ceux qui aiment les méchants peuvent imaginer qu’il a été enlevé par les extraterrestres et qu’il sème encore la m… sur une autre planète ! Merci Hergé de nous laisser quelques possibilités de terminer à notre façon les vies des personnages que tu as créés et que tu as laissés en vie derrière toi…
La fin de l’album est marquée par une grande séquence de télévision, la dernière en noir et blanc dans Tintin, car la prochaine sera en couleur… Mais dans les téléspectateurs, nous avons la surprise, je ne dirais pas le plaisir, de découvrir l’assureur Séraphin Lampion… Dernières remarques humoristiques dans un récit plus sérieux…
Tiens, un personnage se souvient de tout. Oui, il y a bien eu des extraterrestres, un détournement d’avion, le grand retour de Rastapopoulos… Mik Ezdanitoff a laissé un témoin derrière lui… Quel danger pour un peuple fragilisé par une histoire délicate… Mais comme c’est Milou, tout va bien, le secret sera bien gardé…
« Ah ! Si je pouvais raconter tout ce que j’ai vu ! Mais on ne me croirait pas. »
Allez, encore quelques petits gags pour le fun… Regardez ce qu’il advient d’une plante arrosée au Sani Cola par Haddock qui préfère, vous vous en doutez bien, le whisky… Regardez Rastapopoulos essayer d’écraser un petit scorpion…
C’est donc un album atypique que Hergé nous donne après un long temps d’absence, un travail pendant lequel il fut beaucoup aidé, entre autre par ce fameux Bob de Moor, une histoire que j’aime bien, qui se lit facilement et dont le dessin est souvent d’une grande qualité. Alors très bonne lecture et à très bientôt autour d’une autre aventure de Tintin…
(par shelton)
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« Objectif lune »
« Objectif lune »
Chaque été, on fête les étoiles du ciel, on prend le temps de lever la tête, on contemple cet astre satellite de la terre, la lune… Au mois de juillet, on peut même célébrer l’anniversaire des premiers pas de l’homme sur cette fameuse lune… Je viens même d’entendre que l’on allait donner le nom de professeur Tournesol à une place d’une grande ville du Sud-Ouest, Bordeaux si j’ai bien retenu… Rien à voir me direz-vous ? Non, au contraire, tout à voir !
Parler de cet album « Objectif lune », c’est rendre hommage au professeur Tournesol, un des plus grands savants de notre époque. Il fut brillant, inventif, curieux de tout, à l’origine des lasers, de la télévision, des sous-marins, des réacteurs nucléaires… et j’en oublie obligatoirement tant on ne peut lister toutes ses inventions… Alors, « Objectif lune », c’est sa consécration comme astrophysicien, c’est une partie importante de sa biographie, c’est le moment où Hergé décide de nous le révéler dans sa grandeur, dans sa réalité…
Le professeur Tournesol entre dans l’œuvre de Hergé au début du Trésor de Rackham le Rouge, de façon modeste, comme un professeur illuminé et sans grande importance. Pensez donc, sa grande invention serait le lit qui se replie dans la journée pour permettre aux habitants des appartements restreints d’avoir un peu plus de place pour vivre… Mais, par la suite, il prend de l’importance. Dans le duo Les 7 boules de cristal et Le temple du soleil, il est indiscutablement le héros, le centre… Même Haddock a pour lui des mots sympathiques et tendres… Mais, il faut savoir attendre pour mesurer la grandeur d’un homme. Dans « Objectif lune », nous allons le retrouver au centre de recherches atomiques de Sbrodj, en Syldavie. Oui, il est si connu et célèbre qu’une nation étrangère lui offre un poste de chercheur, non, encore mieux, un titre de directeur de la section astronautique ! C’est ainsi que, secondé par l’ingénieur Frank Wolff, il prépare une fusée pour aller sur la lune… Mais Tintin et Haddock ignorent encore tout cela quand ils rentrent dans ce bon château de Moulinsart.
Car tout commence par un retour au château de Haddock. Tintin, Milou et le capitaine semblent revenir d’un long voyage, au moins un mois d’absence car ils vont apprendre de Nestor que le professeur Tournesol est parti depuis déjà trois semaines… Mais on ne sait pas où il est… Heureusement, un télégramme arrive de Syldavie pour donner des indications précieuses : « Venez me rejoindre »… Et nous revoilà partis dans une grande aventure !
En haut de la page 2, on peut remarquer que Milou est entrain de tester les escaliers du château. En fait Hergé expérimente les possibilités de cet escalier et il y reviendra par la suite, dans une autre aventure dont nous parlerons par ailleurs. Sur cette même page, dans l’avion de la compagnie syldave, un sinistre personnage fait son apparition, il semble prêter attention aux paroles de Haddock, surtout quand il prononce le nom de Tournesol. On commence à se douter que ce voyage ne sera pas de tout repos… Mais cet homme restera dans l’ombre, on n’en saura pas trop sur lui et Hergé restera plus prudent que dans L’étoile mystérieuse en s’abstenant de lui donner un nom, une appartenance ethnique ou religieuse… Mais nous sommes en 1953 et l’auteur a tiré les leçons du passé, au moins dans les formes…
C’est au moment où nous réalisons que cette histoire tourne à l’espionnage, qu’elle présente de nombreux dangers potentiels, tant pour Tournesol que pour nos amis cherchant à le rejoindre, que Hergé va s’offrir une petite série de gags avec notre cher capitaine… Notre marin est un grand amateur de whisky et on veut lui mettre de l’eau minérale dans son alcool, lors du voyage – quel scandale ! – et à l’aéroport de Klow, un douanier, après avoir découvert la réserve de whisky de Haddock, lui demande une petite amende de 875 khors de droits de douane… On croit que Hergé s’égare mais en fait dans cette histoire on va pouvoir constater qu’un grand nombre de frasques de Haddock sont créées pour alléger l’histoire. Tournesol sera le savant, Tintin le sauveur et Haddock le clown… Un peu simplificateur mais très proche de ce que le lecteur va découvrir de page en page… Pour ce qui est de Haddock, c’est facile à vérifier…page 4, il se retrouve avec sa casquette complètement enfoncée, page 5, Haddock subit un lavage de tête à l’eau minérale, page 7, il s’assomme en sortant de la voiture, page 8, re-choc avec Tournesol qui l’embrasse en gardant son casque, page 11, il prend feu en voulant fumer avec l’appareil auditif de Tournesol, page 13, il tombe à la renverse en visitant la centrale nucléaire, page 16, le voilà repeint en rouge pour l’hiver, page 26, le gag de la chaise devrait plaire à tous les lecteurs ayant gardé une âme d’enfant… On pourrait continuer la liste jusqu’à la fin de l’album, mais je préfère vous laisser effectuer une lecture spéciale en regardant toutes les anecdotes avec le capitaine Haddock dans cet album… A vous de jouer ! Mais, en fin d’album, lorsque la tension est la plus forte, Haddock ne sera plus là pour faire rire et on oubliera facilement son encyclopédie en trois volumes…
Mais le comique ne viendra pas seulement de Haddock. D’ailleurs le capitaine n’est là que la première étape du rire, il fait rire mais en laissant le lecteur dans l’histoire. Le « comique impasse », celui qui égare le lecteur, est incarné par le duo, classique mais irremplaçable, des Dupondt… Dès leur arrivée, en confondant tenue grecque avec tenue syldave, ils donnent le ton général de leurs interventions et il faut bien comprendre que ce décalage total finira dans la tragédie car s’ils… mais c’est encore trop tôt pour en parler…
Mais n’est-il pas temps de parler de ces Dupondt… Quand j’étais petit, je croyais que c’étaient des jumeaux, mais je me trompais. Dupond et Dupont, deux orthographes de nom, deux personnes distinctes, deux origines différentes… Hergé a probablement pensé et pris modèle sur deux jumeaux de sa famille, mais il veut aussi montrer que pour lui mes policiers sont uniformisés par leurs tenues, leurs formations, leurs missions… Ils les montrent d’une bêtise incroyable depuis leur première apparition et ce n’est pas dans cet album qu’ils retrouveront un peu de crédibilité… Mais puisqu’ils sont différents comment fait-on pour distinguer Dupond et Dupont ? En fait, ce n’est pas très compliqué : Dupond, d comme droite, a une moustache qui tombe de façon droite… Dupont, t comme tordue, a une moustache qui se rebelle en tombant… Et voilà, maintenant, vous saurez comment les distinguer ce qui ne vous apportera rien au niveau de l’histoire, mais vous pourrez faire chercher les autres…
Mais dans « Objectif lune », on va assister à une super séquence Dupondt… Durant 39 vignettes, sur trois pages, Hergé s’amuse avec ces deux imbéciles heureux. Rien de nouveau pour le lecteur, pas d’avancée dans l’histoire, juste une présentation de la bêtise incarnée avec les Dupondt qui finissent par arrêter un squelette ! Mais page 25, quand la séquence est enfin terminée, Hergé nous montre que le drame, lui, est bien en train de se mettre en place, c’est sobre mais efficace, moquerie et récit fondamental se suivant de très près… « OK ! Leur fusée est à nous !… »
Car, « Objectif lune », est bien avant tout, une histoire forte. Tournesol veut envoyer une fusée sur la Lune pour permettre à l’homme de fouler le sol du satellite naturel de la Terre pour la première fois. Cet album est celui de la préparation, le suivant, « On a marché sur la lune », sera celui de la réalisation comme nous avions eu chez Jules Verne De la terre à la lune et Autour de la lune… Mais, si on peut parler de science fiction, on peut aussi dire qu’il s’agit de politique fiction car Hergé se lance dans la conquête de l’espace juste avant que les Etats-Unis et l’URSS se fassent une guerre terrible pour cette aventure dans l’espace… Mais voilà, les Syldaves aidés par Tournesol seront les plus rapides…
Dans « Objectif lune », nous aurons donc une aventure scientifique, un emballage plein d’humour – de tout cela nous avons déjà parlé – mais il y aura aussi la partie d’espionnage. Et pour cela, il faut une avancée scientifique – ce sera la fusée nucléaire de Tournesol – une nation étrangère désireuse de venir voler un secret – la Bordurie – et un traître – mais je ne vais pas vous donner son nom tout de suite car je pense que si l’un d’entre vous lisait cet album pour la première fois, le suspens demeurerait jusqu’au deuxième épisode de cette histoire – et nous voilà partis dans cette grande aventure…
Mais un des personnages essentiels de cette histoire est un objet qui va faire très rapidement le tour de la terre, au sens propre comme au sens figuré, que l’on peut acheter, malheureusement à prix d’or, en petit format ou en très grand… Il s’agit de cette fameuse fusée rouge et blanche, que l’on découvrira d’abord en petit format avec le prototype X-FLR 6 puis en version définitive à la page 42, le jour où Tournesol veut prouver à Haddock qu’il n’est pas un zouave… Mais voilà, ce jour là, un drame va se produire et personne ne l’avait envisagé : Tournesol, en faisant visiter la fusée, tombe, se cogne la tête et perd la mémoire… Le mammouth – le nom sous lequel les espions le désignent – ne peut plus continuer son travail de préparation au voyage lunaire… Le projet va-t-il capoter à cause d’une anodine chute ? Non ! Le capitaine Haddock va finir par aider Tournesol à revenir dans la réalité et pourtant le capitaine n’est pas celui qui souhaite le plus aller sur la lune puisque au moment d’embarquer il dit à Baxter, le directeur de la base : « Ecoutez, Monsieur Baxter, si vous y tenez vraiment, si je puis vous céder ma place… »… Mais, rassurez-vous, les passagers pour la lune vont bien embarquer, Tournesol, Tintin, Milou, Haddock et Wolff… Et voilà notre fusée qui décolle…
Mais avant de lire la suite des aventures dans l’espace de nos héros préférés, prenons encore quelques minutes pour découvrir les petites séquences consacrées à Milou, avec un chat, page2, avec une porte, page 7, avec sa tenue spéciale, page 12, 14 et 16, avec des ours, page 20 et 21, avec Wolff, page 27, avec la pipe de Haddock, page 31, avec une souris, page 38, lors de son essayage de scaphandre lunaire, page 51 et, enfin, lors du décollage de la fusée…
Comme nous l’avons déjà vu ensemble, il arrive parfois qu’Hergé nous fasse quelques clins d’œil, en particulier en dessinant des proches, des membres de son équipe des studios Hergé, c’est le cas dans cet album… A vous de chercher, par exemple, ce cher Edgar P Jacob, l’auteur des aventures de Blake et Mortimer, mais aussi un grand collaborateur d’Hergé, en particulier pour la mise en couleur de certains albums dans les années de guerre…
Il ne nous restera plus qu’à lire prochainement la suite de cette histoire tout à la gloire scientifique du professeur Tournesol dans « On a marché sur la lune »…
(par shelton)
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« On a marché sur la lune »
« On a marché sur la lune »
Oui, je sais, c’est toujours un peu long à lire, mais comme certains lisent et m’ont dit aimer ces regards sur leurs lectures d’enfance, continuons notre voyage au pays d’Hergé...
Je vous avais promis que nous prendrions le temps de lire ensemble cet album, « On a marché sur la lune », ne serait-ce que parce qu’il est la suite de « Objectif lune »… mais, en fait, il est particulier, à part, si on peut dire et je vais tenter de vous montrer pourquoi… même si pour ce faire nous sortons des lectures habituelles de cet album que l’on classe beaucoup trop souvent dans une sorte de science-fiction pour la jeunesse…
Dès la couverture, nous comprenons bien que le personnage principal sera la fusée elle-même. Elle est au centre de la couverture et tintin qui nous dédaigne du regard est en train de l’admirer… et il a raison car c’est à elle qu’il va confier sa vie pour revenir sur cette bonne vieille terre… Remarquez, s’ils sont sur la lune, avec Haddock et Milou, c’est que le voyage aller s’est bien passé… Car, rappelez-vous…
Nous avions laissé, à la fin d’« Objectif lune », la fusée en l’air, le départ avait bien eu lieu mais le contact n’était pas encore rétabli entre la terre et la fusée…
« Allô, allô, fusée lunaire ? Répondez… »
Mais voilà, le silence a continué pendant un an, date entre les deux aventures… 1953 pour « Objectif lune » et 1954 pour « On a marché sur la lune ». Mais, heureusement, un jour, les aventuriers voyageurs de la fusée ont repris conscience et le silence fut rompu.
« Allô, allô, ici fusée lunaire… C’est Tintin qui vous parle… Je viens de reprendre connaissance… Je vais voir comment se portent mes compagnons ».
Le voyage va pouvoir prendre une bien meilleure tournure… Enfin, tout irait bien si certains passagers ne se retrouvaient pas dans la fusée par erreur – les inimitables Dupondt qui se retrouvent dans ce voyage parce qu’ils n’ont pas évacué la fusée au moment du départ, enfin ils avaient confondu 1h34 du matin avec 13h34 ! – ou pour des raisons beaucoup plus malhonnêtes, ce Jorgen que Wolff a fait entrer clandestinement à bord… Mais nous aurons l’occasion d’en reparler… Mais Baxter, au sol, va pouvoir commencer à se faire du souci car qui dit astronautes supplémentaires dit réserves d’oxygène qui vont diminuer plus rapidement que prévu… Mais, il n’y a pas encore urgence…
Le voyage aller sera assez simple, enfin si on peut dire. Haddock va beaucoup étudier son traité d’astronomie (réserve personnelle de whisky) et, une fois imbibé, il voudra reprendre sa liberté dans l’espace et Tintin aura beaucoup de mal à le sauver ce qui lui donnera l’occasion de se lettre en colère avec une violence inhabituelle chez lui :
« Taisez-vous ! Vos excentricités ont failli nous coûter la vie à tous, vous compris !… Ça suffit comme ça, maintenant ! … Vous allez rentrer tout de suite à bord ! … Et essayez de vous conduire convenablement ! Entendu ! »
Cette séquence donnera à Hergé l’occasion de dessiner un Tintin en colère comme on en voit peu même s’il est dans sa tenue de scaphandre de l’espace…
Le deuxième fait marquant du voyage aller sera la pilosité abondante et colorée des Dupondt… Mais ce n’est pas une nouveauté car dans l’épisode Au pays de l’or noir nous avions déjà vu un tel phénomène… Néanmoins, en fusée, dans l’espace, ce n’est pas le meilleur moment pour une telle rechute… Vous pouvez aussi remarquer que lors de ces crises, il est beaucoup plus difficile d’identifier Dupont et Dupond… Sauf après un passage sous les ciseaux ou on peut de nouveau voir la différence… Allez, amusez-vous, n’ayez pas honte, tentez d’identifier les Dupondt dans les différentes vignettes, quelle que soit la couleur des cheveux, quelque soit la longueur… Pas toujours facile !
Puis, nous allons enfin arriver sur la lune avec ces mots historiques qui feront le tour du monde « Ça y est ! J’ai fait quelques pas ! Pour la première fois sans doute dans l’histoire de l’humanité ! On a marché sur la lune ! ». Vous remarquerez que ces phrases sont beaucoup plus connues et pertinentes que celles qu’utiliseront les Américains quand ils arriveront sur cette lune déjà explorée par Tournesol et son équipe, mais c’est souvent comme ça quand on arrive deuxième…
Hergé nous offre, alors, un grand nombre de dessins de la fusée mais aussi de paysages lunaires comme nous n’en verrons plus jamais… On peut remarquer qu’au niveau graphique, Hergé utilise des méthodes nouvelles ou inhabituelles pour lui, en particulier des vignettes de plus grande taille. On a le moment de l’approche de la lune par la fusée, puis l’alunissage, enfin les premiers pas humains sur la lune… A chaque fois, une belle fusée, la terre au loin, et des paysages lunaires qui montrent qu’Hergé devait bien avoir la tête dans la lune assez souvent…
La phase suivante est assez laborieuse, puisque Tournesol n’est pas venu là en vacances, il faut travailler, débarquer le matériel, explorer, comprendre ce qui se passe même si Haddock ne partage pas tout à fait le point de vue de la science incarnée, en particulier sur les « risques du métier », ces fameux météorites qui tombent sur la lune…
Pour retrouver le sourire, il va falloir attendre que les Dupondt posent le pied sur la lune… Eux aussi ont des mots inoubliables « Dire que nous foulons ce sol de la lune où jamais la main de l’homme n’a mis le pied ». Mais, personnellement, je pense qu’Hergé a commis une petite erreur. Comment se fait-il que les Dupondt qui n’étaient pas prévus dans ce voyage trouvent une tenue chacun, à leur taille, pour aller sur la lune ? Cela montre que même les meilleurs auteurs peuvent se laisser aller parfois à des facilités… Par contre, la notion d’oxygène est bien prise en compte, Tournesol annonçant très rapidement « Nos réserves d’oxygène étaient prévues pour quatre personnes et un chien, et non pour six comme c’est le cas… Nous allons être obligés de réduire notre séjour à dix jours ». Donc moins de temps, plus de travail…
Durant une des explorations lunaires, Tintin aura l’occasion de se mettre en danger pour sauver Milou et c’est Haddock qui lui sauvera la vie. Cela montre que cette notion d’amitié est toujours très forte chez Hergé même quand ses personnages se sont autant éloignés de la bonne vieille terre… Haddock avait été sauvé par Tintin dans l’espace, maintenant c’est l’inverse sur la lune, match nul, enfin pas si nul que cela, c’est encore une grande victoire de l’amitié, le seul sentiment qui semble animer Hergé, euh, non, Tintin…
Mais voilà, depuis que Tintin et Haddock étaient partis de Moulinsart, ils étaient surveillés, espionnés… Cette expédition lunaire intéressait une autre nation… et un espion était à bord. Et à partir de la page 39, le drame se met en place et le danger devient omniprésent… Jorgen, l’espion, a un allié, Wolff, le traître… Dès que l’on apprend la trahison de Wolff on se souvient de certaines scènes d’« Objectif lune »… Oui, Hergé nous avait tendu des perches mais nous n’avions pas voulu les saisir : comment, Wolff, ce fidèle savant ami de Tournesol, le traître, ce n’est pas possible ! Comment aurions nous pu imaginer qu’il avait le démon du jeu et que tout cela serait la conséquence de ses dettes ?… Cette trahison a d’abord pour effet de permettre à Hergé de distiller son suspens. Les « méchants » veulent repartir pour la terre sans une partie des membres de l’expédition… Puis, une fois que la situation a été retournée par Tintin, la question de l’oxygène devient de plus en plus cruciale : un personnage de plus à respirer, Jorgen, et de multiples délais supplémentaires pour remettre la fusée en état après les tentatives de départ avancé de Jorgen et Wolff…
Le retour va être terrible, enfin surtout pour les nerfs des lecteurs… La fusée, cette fameuse fusée tant admirée, prend d’abord la direction de Jupiter, ce qui n’est pas le chemin le plus court pour rentrer à Moulinsart… En suite, Jorgen, qui était prisonnier avec Wolff, se libère, après une mauvaise manipulation des Dupondt qui décidément ne feront que des bêtises dans cet album… Il veut reprendre la situation en main… Mais au moment où il veut tuer nos amis, Wolff a un dernier sursaut d’honneur et il provoque une bagarre… Un coup de feu éclate, personne ne peu rien n’y faire, pas même Tintin, et Jorgen meurt… Ce n’est pas très courrant, dans les albums d’Hergé, d’avoir des morts, des cadavres. Certes, Tintin n’est pas le tueur, mais c’est assez important pour que nous tentions de comprendre pourquoi les évènements évoluent de la sorte. En fait, Wolff ayant trahi les héros, le bon Tournesol, en particulier, il fallait qu’il puisse se racheter car il n’était pas fondamentalement mauvais, il était plus une victime passive, un lâche mais pas un mauvais. En tuant Jorgen, il le met sur le chemin du rachat. Mais, comme les réserves d’oxygène sont encore très incertaines, ce geste ne suffit pas. Il faut qu’il aille plus loin sur ce chemin de la délivrance de sa conscience et dans cette situation on trouve chez Hergé des relents de visions judéo-chrétiennes de la faute et du pardon. Wolff va donc se suicider pour laisser un peu plus d’oxygène aux autres. Il laisse un message d’adieu : « pardonnez-moi le mal que je vous ai fait ».
Hergé a certainement des difficultés dans sa vie. Les relations avec sa première femme, l’envie de repartir à zéro, de vivre une autre vie, de s’assumer tel qu’il est, de relever la tête après la période d’après guerre où il fut accusé de collaboration, ou plus exactement de sympathies pour l’occupant allemand… Mais peut-on se racheter une virginité ? Non, il le sait bien, Wolff n’a aucune chance de s’en sortir même s’il écrit dans son message « Quant à moi, peut-être un miracle me permettra-t-il d’en réchapper aussi. ». Mais il sait que Wolff va mourir et il ne se fait aucune illusion sur lui… Il souffre de savoir que lui aussi devra un jour mourir et se retrouver devant son destin, assumer tous ses actes… mais, il n’ira pas plus loin dans cet album et quelques années après il commencera une thérapie et nous offrira le magnifique album « Tintin au Tibet »…
Cet album, « On a marché sur la lune », n’est pas le meilleur de la série car une grande partie de l’histoire se déroule dans un volume très restreint : une fusée, un char lunaire, un scaphandre… Il manque à Hergé le champ des aventures qui généralement est limité, et encore, par des frontières… Dès l’album suivant, il enverra ses amis à l’étranger pour des aventures plus classiques. Mais j’aime cette histoire dans une fusée, cette sorte de huis-clos, qui a permis à Hergé de monter qu’il était un véritable auteur pouvant s’adapter à toutes les situations, y compris les plus délicates…
(par shelton)
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Re: Les Chroniques des albums de Tintin
Nous sommes désolés de vous annoncer que suite à un attentat....
le trède sur TINerkkTIN vient d'exploser....
Toutes nos sincères condoléances aux accros de Tintin....
Edit par Omega- : arggh didju, je savais bien que ça plairait pas à tous je me dépêche de finir de poster les résultats de mes fouilles, avant que les voleurs de syntex débarquent ici pour de bon
le trède sur TINerkkTIN vient d'exploser....
Toutes nos sincères condoléances aux accros de Tintin....
Edit par Omega- : arggh didju, je savais bien que ça plairait pas à tous je me dépêche de finir de poster les résultats de mes fouilles, avant que les voleurs de syntex débarquent ici pour de bon
« Les 7 boules de cristal »
« Les 7 boules de cristal »
Et nous continuons le voyage au pays des oeuvres d’Hergé :
Nous voilà dans une des grandes aventures de Tintin car on peut dire sans risquer de trop se tromper que « Le temple du soleil » est un des épisodes les plus populaires des travaux d’Hergé. Mais souvent, le premier volet de cette histoire, « Les 7 boules de cristal », est moins apprécié, sous estimé, pourrait-on dire, et je crois que c’est une grosse erreur, car il est en tout point remarquable comme nous allons pouvoir nous en rendre compte ensemble…
Mais avant de prendre le livre en mains, avant d’entamer la lecture, il est bon de connaître quelques éléments historiques qui vont nous aider dans la perception populaire de cette aventure.
Le 16 décembre 1943, commence la parution des « 7 boules de cristal » sous forme de feuilleton hebdomadaire dans le journal « Le Soir ». Certes, la publication n’est pas totalement régulière, mais le public est quand même au rendez-vous. Au moins jusqu’au jour de la libération de Bruxelles. En effet, ce jour là, les choses se compliquent pour Hergé qui a travaillé pendant toute la guerre pour un journal dit de collaboration. Il est donc momentanément interdit de presse et tintin avec lui. Il est certain qu’Hergé ne fut pas un collaborateur politique ou économique comme on en vit à Paris et Bruxelles pendant les années noires de ces deux capitales. Mais, il ne fut pas non plus un courageux intellectuel se révoltant contre l’Allemagne nazie. Donc, tout en n’ayant jamais joué un rôle politique, il lui fallut assumer cette sanction, et, avouons-le, il vécut cette période avec beaucoup de souffrance et il ne comprit jamais ce qu’on lui reprocha… Nous avons vu ensemble certains de ses dérapages, en particulier dans « L’Etoile mystérieuse », mais je n’en dirai pas plus car ce dossier est très délicat. Faire d’Hergé un collaborateur d’extrême droite est aussi stupide que d’en faire un résistant de l’ombre… Non, en fait, il a du ressembler à un très grand nombre de ses compatriotes qui n’ont rien compris à ce qui se passait en Europe…
Mais le public, lui, qui avait adhéré à ce premier épisode d’une nouvelle histoire de Tintin, dut attendre plus de deux ans pour avoir la suite et c’est probablement cette longue attente qui provoqua l’engouement autour du Temple du soleil, engouement justifié aussi par la qualité de la narration comme nous allons le constater. Mais revenons, tout d’abord, comme promis, à ces fameuses 7 boules de cristal…
La couverture nous montre bien que Tintin n’est pas le personnage central, mais nous allons commencer, pourtant en sa compagnie. Dans la version de 1948, contrairement à la version originale où Tintin arrivait à Moulinsart en autocar, il arrive à Moulinsart en train. C’est pendant le voyage, assez court au demeurant s’il vient de Bruxelles, que son voisin, un homme très sérieux fait des commentaires sur l’article de journal que Tintin lit, enfin, tente de lire… Il s’agit du retour d’une grande expédition en Amérique du Sud qui a découvert une tombe Inca… Et notre voisin de dire que tout cela finira mal avec des arguments qui, somme toute, tiennent bien la route «Que dirions-nous si les Egyptiens ou les Péruviens venaient, chez nous, ouvrir les tombeaux de nos rois ? ». Mais, il devait bien avoir raison, puisqu’une malédiction va effectivement tomber sur les scientifiques ayant participé à cette expédition… En attendant, lui, Tintin est bien arrivé à Moulinsart et il va à pied au château, ce qui représente trois kilomètres… Mais, il a la santé, ce petit jeune…
Quand il arrive au château, le fameux château de Moulinsart devenu très récemment propriété de Haddock, c’était à la fin de l’album précédent, la porte est ouverte par un Nestor grande classe, en tenue noir et blanc. Il ne porte plus le petit gilet noir et jaune qu’il avait dans « Le secret de la Licorne » et qu’il retrouvera au début d’« Objectif lune ». D’ailleurs Haddock, quand il arrivera, nous surprendra aussi avec sa tenue de cavalier, son monocle, enfin, quand il ne le perd pas… Mais, pour voir Haddock reprendre une tenue classique, il nous faudra attendre beaucoup moins longtemps, car dès la fin de cet album, il reprendra une tenue de marin, sa casquette, sa pipe, son pull bleu et son pantalon noir…
Mais ce début d’album est marqué par une très belle double page, très visuelle, avec très peu de texte : Milou attaque le chat, Nestor tente de sauver son plateau de rafraîchissements (magnifiques dessins pleins de mouvements et débordants d’énergie, puis Milou arrive enfin… à tout renverser tandis que Haddock passe à son tour de magie… Toute cette séquence n’apporte pas grand chose dans l’histoire mais tant de bonheur au lecteur qui sait prendre son temps… Lire une bédé c’est lire les textes, mais, aussi, s’arrêter et regarder les dessins…
Enfin, après cet intermède visuel et ludique, Hergé nous emmène au music-hall, enfin, c’est le capitaine Haddock qui nous accompagne… Et il va s’en passer des choses, en quelques pages, même si l’intérêt pour le lecteur n’est pas évident… Le numéro de Yamilah va nous permettre de découvrir madame Clairmont Double information, d’une part, pour le scénario, c’est le début de la fameuse malédiction, d’autre part, pour notre connaissance d’Hergé, la preuve qu’il peut dessiner une femme tout à fait normale qui n’est ni désagréable, ni stupide, ni ridicule… Certes, elle ne restera pas longtemps en scène, mais c’est vrai qu’elle existe et que c’est bien Hergé qui l’a créée… Après ce numéro inachevé, nous avons le lanceur de couteaux, Ramon Zarate, qui n’est en fait que le général Alcazar. Tintin avait été son aide de camp dans l’épisode de ses aventures : « L’oreille cassée ». Hergé aime faire revenir ses personnages, même pour des rôles secondaires, d’autant plus que c’est l’occasion de présenter le général déchu au capitaine Haddock qui ne le connaissait pas. Nous le retrouverons, dans d’autres aventures et en particulier dans l’un des derniers épisodes, quand il reprendra le pouvoir au San Theodoros (Tintin et les Picaros). D’ailleurs, le numéro suivant met en scène la grande et fameuse Bianca Castafiore qui nous interprète, brillamment comme toujours, l’air des bijoux de Faust. Haddock ne savait pas que Tintin la connaissait (« Le sceptre d’Ottokar ») mais il nous confie, la larme à l’œil, « Je ne sais pas pourquoi, mais chaque fois que je l’entends, je pense à ce cyclone qui s’est un jour abattu sur mon bateau, alors que je naviguais dans la mer des Antilles… ». Mais, il est encore sympathique car ses relations avec la diva ne feront que s’aggraver au fur et à mesure des années (« Les bijoux de la Castafiore »), même s’il reste capable, jusqu’à la fin de sa vie, de parcourir le monde pour la sauver (« Tintin et les Picaros »). A mon humble avis, la Castafiore des 7 boules de cristal est la plus mal dessinée, mais c’est un avis strictement personnel, à vous de vous forger votre point de vue en allant la chercher partout où elle sévit : « Le sceptre d’Ottokar », « Les 7 boules de cristal », « L’affaire Tournesol », « Coke en stock », « Les bijoux de la Castafiore » et « Tintin et les Picaros ». Ce qui est sûr, c’est qu’en dehors d’Hergé, celui qui supporte le moins la voix de la soprano est Milou ce qui oblige Tintin et Haddock à quitter la salle du spectacle plus rapidement que prévu.
Dans la loge d’Alcazar, il fallait bien meubler le temps après la sortie rapide, Haddock manque de s’étouffer avec de l’alcool ce qui est surprenant, c’est plutôt avec de l’eau que ce genre de chose lui arrivait jusqu’à maintenant… Mais l’aguardiente est vraiment forte… Lors de mon passage au San Theodoros, je me souviens… Mais revenons à notre histoire…
Pendant ce temps-là, les savants de l’expédition Sanders-Hardmuth continuent d’être victimes agressions mystérieuses, on les retrouve endormis avec juste quelques éclats de cristal à leurs côtés… Les Dupondt sont assez inquiets de cette situation et c’est l’occasion pour Hergé d’offrir quelques gags avec ces policiers inimitables… Nous ne retiendrons que deux aspects particuliers, l’arrivée dans leur langage de contrepèteries et leur distraction. Les contrepèteries, l’art de décaler les sons, donnent généralement naissance à des allusions placées au-dessous de la ceinture. Mais comme la bêtise des Dupondt est de notoriété publique, leurs contrepèteries sont du même acabit et ne signifient rien du tout… « Le professeur Laubépin ! C’est inouï ! » devient « Le professeur Laubépi !…….. C’est inouïn ! »… Quant à leur distraction légendaire, elle est renforcée par un petit fait que vous chercherez : Dupont téléphonant avec sa canne… en se plaignant de ce téléphone toujours en dérangement…
Mais laissons, un instant l’intrigue, pour regarder les voitures de cet album. Elles seront très nombreuses et leur rôle important. Tout commence par un train à vapeur, puis un cheval sans cavalier, mais très rapidement voilà la Ford V8 de 1937. C’est un taxi et c’est à l’intérieur que Marc Charlet sera agressé. A noter que le dessin de la page 21, quand la voiture est garée devant chez Tintin, me semble un peu particulier, la voiture semble en suspension dans les airs et pas reposer sur l’asphalte… En suite nous verrons la voiture du capitaine Haddock, une Lincoln Zéphyr Cabriolet de 1939. C’est, a priori, la seule voiture qu’il ait achetée dans sa vie… et que nos héros vont beaucoup utiliser dans cette histoire, Moulinsart-Saint Nazaire, puis La Rochelle ! Enfin, il y aura les véhicules qui vont permettre à Tournesol, prisonnier, de rejoindre, lui aussi, la côte atlantique : une conduite intérieure noire, une Opel, puis, lorsque cette voiture est abandonnée dans les bois, une grosse voiture beige de série, plus difficile à identifier, enfin pour moi qui ne suis pas spécialiste des autos… Pour finir avec les moyens de transport, citons des motos et vélos pour les forces de l’ordre, des cargos, ce qui ne pouvait que réveiller l’humeur du vieux loup de mer qu’est Haddock, et un hydravion qui permettra à nos amis d’arriver au Pérou avant Tournesol et ses kidnappeurs… Car Tournesol, qui pourtant ne faisait pas partie de l’expédition victime de la malédiction, a bien été enlevé… parce que ce distrait a trouvé un bracelet, qu’il se l’est mis autour du bras et qu’il a commis ainsi l’irréparable, le sacrilège absolu… et voilà comment on expédie Tintin, Milou et Haddock au bout du monde à la rencontre d’une civilisation Inca que nous ne connaissons que fort mal…
Je sais que vous êtes un certain nombre à aimer jouer avec ces bandes dessinées de Hergé, alors quelques petites questions pour vous occuper un peu… Dans le Music-Hall Palace, lors de l’intrusion bruyante de Haddock, en plein spectacle, on peut découvrir, dans une loge, Edgar Pierre Jacobs. Dans le même temple du spectacle, on découvre un samouraï qui a les trait des asiatiques dessinés par Jacobs dans les aventures de Blake et Mortimer… A la fin de l’album, sur les quais de La Rochelle, Hergé arrive à provoquer une rencontre entre deux de ses bandes dessinées… mais à vous de trouver…
Cet album des « 7 boules de cristal » est très réussi au niveau de la narration, Hergé nous y montre toute l’étendue de son talent et c’est là que je puise beaucoup de mes exemples du mouvement dans l’image fixe (pensez à Nestor et ses performances avec son plateau), d’ellipses (Tintin qui casse une branche et la fait tomber sur Haddock), les dessins pour évoquer l’alcool et ses conséquences (pour Milou comme pour Haddock…)… Bref, un très bon album à découvrir, à redécouvrir et à relire le plus régulièrement possible…
(par shelton)
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« Tintin au pays de l’or noir »
« Tintin au pays de l’or noir »
La première version en couleur de cet épisode des aventures de Tintin date de 1949. Mais, en fait, si on veut remonter à la genèse de « Tintin au pays de l’or noir », il faut remonter à 1939. C’est, en effet, le 25 septembre de cette année que commence le feuilleton dans le Petit Vingtième, après « Le sceptre d’Ottokar ». Malheureusement pour Hergé, et pour toute l’Europe, la guerre vient interrompre les publications… Mai 1940, Hergé est obligé de laisser son histoire, sans l’avoir terminée, et surtout sans pouvoir lui donner de suite avant la fin de la guerre…
La guerre, elle, connaîtra bien quelques nouvelles histoires de Tintin : « Le crabe aux pinces d’or », « L’étoile mystérieuse », « Le secret de la Licorne », « Le trésor de Rackham le rouge »… Après la guerre, on aura encore deux nouvelles histoires, « Les 7 boules de cristal » et « Le temple du soleil »… Durant ces épisodes, on verra Tintin rencontrer le capitaine Haddock et le professeur Tournesol, nouveaux personnages qui n’existaient pas lors de l’ébauche de « Tintin au pays de l’or noir » et à qui il faudra donner une petite place, ne serait-ce que pour rester cohérent, principe auquel tenait beaucoup Hergé qui pourtant y dérogera parfois, en particulier à la fin de cet album…
Nous allons donc étudier cet album en partant de l’édition de 1949/1950, tout en expliquant les différences, fort importantes, avec celle de 1969 qui servit de base à la traduction en anglais…
Nous commencerons par parler en quelques instants de la couverture même si nous l’avons déjà fait par ailleurs. En effet, la jeep conduite par Tintin va de la droite vers la gauche, sens inhabituel de lecture… Erreur du maître Hergé ? Non ! Mais comme sous le titre de l’album, Hergé met quelques lettres qui semblent sortir de l’abécédaire arabe, langue qui se lit de la droite vers la gauche, pour une fois la voiture de Tintin va dans le sens contraire de la lecture occidentale… Mais ce que l’on peut rajouter, c’est qu’en fait sur la couverture de 1950, les lettres ressemblent à de l’arabe mais ce n’en est pas vraiment. C’est sur l’édition de 1969 qu’Hergé, ou Bob de Moor, fait l’effort de mettre des vrais mots arabes…
D’ailleurs, la question qui reste posée dès le départ de cette histoire, c’est bien de savoir dans quel pays nous allons aller… Le pays de l’or noir ? C’est où ? L’Arabie Saoudite, penserez-vous… et vous ne devriez pas en être trop éloignés car dans la version de 1969 Hergé parle, à travers ses personnages, de l’Arabie Khémédite… Alors que dans la version de 1949, on parle de pays, de territoire, sans le nommer, tout en signalant simplement qu’il est occupé par les Anglais… Mais en lisant les planches à partir de l’arrivée dans le port de Haïfa, on comprend bien que l’on parle de la Palestine avant l’indépendance d’Israël… C’était d’actualité en 1949, pas en 1969, ou plutôt pas de la même façon… Mais revenons à notre histoire…
Tout commence en Belgique avec deux planches à la gloire des Dupondt, certes, mais qui nous font plonger dans l’histoire pétrolière, dans l’énigme qui ne trouvera sa solution qu’en fin d’album… D’ailleurs, les Dupondt seront des personnages importants de cette histoire car très présents…
Les voilà qui viennent faire le plein de leur voiture, une Citroën 5HP de 1924. Belle pièce qui ne survivra pas très longtemps, car après un plein partiel, trois litres seulement – je ne sais pas si c’est pour montrer la pingrerie des policiers, mais ce serait bien possible de la part de Hergé qui n’aime pas mes policiers –, elle va tout simplement exploser… sans blesser les deux Dupondt. Il est à noter que l’entreprise de dépannage, Simoun, que vont utiliser les Dupondt et qui aura un rôle important en début d’histoire porte un nom proche des noms juifs ce qui va bien avec l’idée d’un album ayant pour cadre la Palestine. Le nom ne changera pas en 1969. M. Simoun, le directeur de la compagnie, dont les affaires semblent très bien marcher et pour cause, puisque toutes les voitures semblent avoir des moteurs qui explosent, est dessiné par Hergé sous les traits d’un riche homme d’affaires, possesseur d’une très belle voiture dont les Dupondt s’occuperont personnellement…
Mais à travers les gags présentés, nous apprenons l’essentiel et ce n’est pas rien. Tout d’abord, nous sommes à la veille d’une guerre, les réservistes sont rappelés et mobilisés, ce qui permettra d’expliquer pourquoi le capitaine Haddock ne sera pas présent durant cet épisode, il a tout simplement été mobilisé par le ministère de la marine… En suite, une sorte d’épidémie d’explosions de moteur touche le monde automobile et pas seulement les autos conduites par Dupond… D’ailleurs c’est aussi son briquet qui explose, mais Dupont n’est pas en reste car c’est lui qui comprend à qui profite le crime : si on fait exploser les voitures c’est pour les dépanner donc c’est encore un coup de l’entreprise Simoun… Tintin est plus inquiet et il va mener son enquête chez la Speedoil et Hergé nous offre un cours de géopolitique pétrolière mais qui permet aussi à Tintin d’entrer en action : qui cherche vraiment à pourrir cette essence ? Pourquoi ? Et il estime qu’il faut trouver une solution avant qu’une guerre éclate, car faire la guerre avec ce carburant trafiqué serait impossible… Tout semble pousser Tintin à s’embarquer sur le Speedoil Star, un pétrolier qui changera de silhouette entre les deux éditions. Le premier ne ressemblait que de fort loin à un pétrolier et Bob de Moor prendra le temps de donner un air réaliste à celui de 1969.
Mais ce pétrolier verra aussi les Dupondt s’embarquer. Dans l’édition de 1949, ils sont en sombre, certes déguisés en marins à pompons, mais c’est dans l’édition de 1969 qu’ils portent le nom d’un paquebot célèbre… A vous de voir lequel ! (Réponse en fin de chronique)
La traversée sera mouvementée, surtout pour Milou qui a eu très chaud, un peu plus il se retrouvait à la mer, mais l’arrivée à Haïfa sera d’autant plus délicate que les forces anglaises arrêtent Tintin pour détention de documents secrets tandis que les Dupondt le sont aussi pour les mêmes raisons… Mais qui a pu mettre en place une telle machination, et, surtout, pourquoi ?
D’autant plus qu’à terre, les choses se précipitent et voilà Tintin au cœur de la guerre entre clans. Le convoi qui le transfère à la prison centrale est attaqué par des Juifs de l’Irgoun, puis après par des Arabes du cheik rebelle Bab El Ehr… qui attendait un espion à sa solde…
Dans la version de 1969, le port de Haïfa est remplacé par Khemkhâh, les Anglais par une police militaire arabe, et les documents dans les affaires des Dupondt par de la cocaïne… Tintin est alors directement enlevé par les combattants de Bab El Erh qui pense qu’il s’agit d’un émissaire devant lui apporter des armes…
Dans les deux versions, les Dupondt sont libérés et partent à la recherche de leur ami Tintin en jeep à travers le désert. C’est un grand moment d’humour qu’Hergé s’offre, non… nous offre, car, finalement, cette séquence de la perte dans le désert n’apporte pas grand chose au lecteur, à l’histoire, mais quelle imbécillité que celle de ces deux policiers… Et en plus, ils absorbent un cachet de ce fameux produit que tout le monde cherche sans savoir ce qu’il est…
Mais revenons-en à Tintin. Il connaît la soif, la chaleur, la fatigue extrême, il est abandonné en plein désert, lui aussi se perd… mais va se retrouver au cœur de l’histoire en assistant à un attentat sur un pipe-line… Mais c’est là que nous allons découvrir le méchant, et, comme Tintin, nous allons avoir la surprise de reconnaître ce méchant… D’ailleurs, à vous de vous souvenir de tous les albums dans lesquels il apparaît, car les méchants peuvent avoir la vie dure chez Hergé… (Réponse en fin de chronique)
Tintin ayant compris qui il avait en face de lui, il lui faut comprendre l’enjeu de cette lutte. Cela sera fait quand il pourra approcher, de façon délicate, Mohammed Ben Kalish Ezsab, émir du pays, l’Arabie Khémédite. Mais dans le salon d’attente de son altesse, il voit le professeur Müller qui sort d’une audience. Après les éminentes explications, il comprend le double conflit qu’exploite Müller, la rivalité entre Ben Kalish Ezsab et Bab El Ehr, les enjeux pétroliers et financiers entre l’Arabex et la Skoil Petroleum… Tout cela tombe dans le drame lorsque le fils de l’émir est enlevé. Oui, c’est le début des aventures du fameux Abdallâh, jeune garçon blagueur que l’on croisera pour le plus grand malheur du capitaine Haddock dans « Coke en stock »… Mais en attendant, pour que Tintin puisse mettre en échec le terrible professeur Müller, il lui faut avoir de l’aide. C’est le bon Senhor Oliveira da Figueira qui jouera ce rôle. Là encore, Hergé fait appel à des personnages déjà connu. On l’a rencontré pour la première fois dans « Les cigares du Pharaon » et on le retrouvera, bien sûr, dans « Coke en stock » et de façon moins évidente, en allusion, dans « Les Bijoux de la Castafiore »… Mais en sa compagnie, impossible de mourir de soif, car sa réserve de rosé du Portugal est presque inépuisable… Enfin, surtout quand le seul invité est Tintin. Quand Haddock s’en mêle c’est quelque peu différent… Mais dans quel album Haddock fait-il la connaissance de ce bon vin ? (Réponse en fin de chronique)
Tintin se transformera alors en neveu du commerçant portugais, un peu simplet, ce qui lui permettra de s’introduire chez l’horrible professeur Müller, enfin Smith dans cette histoire. Alors tout pourra prendre fin pour le meilleur, comme d’habitude.
Nous signalerons quelques petites choses de la fin de cet album qui n’est pas, de toute évidence, le meilleur, à commencer par les tentatives du pauvre Haddock que l’on convie en fin d’épisode et qui veut raconter sa mobilisation… mais ce sera à vous d’imaginer ce qui a bien pu lui arriver… On peut aussi parler de la voiture de l’émir que Tintin va utiliser (il ne conduit que très rarement ses voitures, il emprunte beaucoup…) pour poursuivre Müller, une Lancia Aprilia de 1947, une voiture que Hergé posséda réellement ! Dans cette poursuite capitale, le méchant Smith fuit en compagnie de son otage Abdallâh dans une Buick Roadmaster de 1949, auto qui finira en flammes… pour la plus grande joie d’Abdallâh…
Pour finir, tout rentrera dans l’ordre, enfin, presque, car pour les Dupondt, l’absorption du tristement célèbre N-14, cachets cachés dans un tube d’aspirine, a des conséquences surprenantes qui se prolongeront au cours de l’aventure lunaire…
Il semble important de comprendre qu’Hergé, qui n’a jamais eu d’enfant, nous montre l’enfant roi et se pose quelques questions sur l’éducation… Faut-il tout laisser faire ? Doit-on corriger un jeune enfant, juste un peu trop coquin et facétieux ? Le père d’Abdallâh, toujours en pleine admiration nous montre, nous laisse deviner un Hergé dubitatif devant certains pères et mères de son entourage…
Et Tournesol, me direz-vous ? On ne le voit pas, on ne peut que lire sa lettre finale à Tintin où il donne des éléments sur le fameux N-14… mais surtout, on voit la photographie du château Moulinsart entièrement ravagé par les expériences de ce Tournesol de malheur… C’est là où Hergé ne manque pas d’air en faisant dès l’album suivant comme si de rien n’était… Le château est de nouveau en bon état… Ah ! et nous qui pensions que Hergé était un auteur réaliste et rigoureux… Enfin, on n’a qu’à dire qu’il avait oublié que le château avait tant souffert…
Finalement cette aventure est assez sympathique, se lit facilement même si elle n’appartient pas à ma série des albums fétiches. Le sujet pétrolier est assez d’actualité, ce qui explique un certain regain de cette aventure dans le désert Khemed, surtout auprès des jeunes lecteurs qui l’avaient oublié…
Quelques réponses…
1. Les Dupondt portent une tenue qui pourrait laisser croire qu’ils appartiennent à l’équipage du Titanic.
2. Le docteur J. W. Müller, puisqu’il s’agit bien de lui, est connu aussi sous le nom de Smith et Mull Pacha. Il est apparu dans « L’île noire », trafiquant de fausse monnaie, on le retrouve dans « Au pays de l’or noir » comme sorte de mercenaire au service d’une grande multinationale pétrolière et, enfin, on va le croiser, très furtivement, dans « Coke en stock », lorsqu’il aura récupéré un poste important au Khemed, au près du cheik Bab El Ehr…
3. C’est dans « Coke en stock » que Haddock dit : « Euh… il paraît que votre rosé est très rafraîchissant… ».
(par shelton)
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« L’affaire Tournesol »
« L’affaire Tournesol »
Comment peut-on encore parler des aventures de Tintin du célèbre Hergé alors que par principe il ne peut pas y avoir de nouveautés dans ce domaine ? Oui, dit comme cela, il n’y a rien à dire… quoique…Précisons, rappelons, que c’est Hergé lui-même qui a souhaité de son vivant que les aventures de Tintin s’arrêtent avec lui. D’autres n’ont rien précisé de leur vivant mais ne sont peut-être pas plus heureux de voir ce que l’on a fait de leurs personnages… Mais revenons-en à Tintin…C’est bien « L’affaire Tournesol » qui vient de reprendre sa place dans les bacs des libraires au titre d’une nouveauté. Une suite, non. Tout simplement l’édition fac-similé de l’original. L’album tel que nos parents, grands-parents, ont pu le lire en 1956 à sa sortie. Mais comme c’est si vieux, pourquoi prendre le temps d’en parler ? Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que dans l’univers Tintin, tintinologues, tintinophiles, tintinomaniaques et tintinolâtres se bousculent, non par dizaines, ce serait trop beau, mais bien par milliers, millions probablement. Les tintinologues recherchent les détails de cette édition, soit parce qu’ils ne l’avaient pas eu en main, soit pour la contrôler (il est à préciser que chaque édition a ses particularités, couleurs, anomalies, distorsions…).Les tintinophiles, collectionneurs dans l’âme, l’achèteront, la poseront délicatement à côté de la précédente, tout ce qui vient du maître Hergé est digne d’amour et de vénération…Les tintinomaniaques, encore assez nombreux, sont assez difficiles à comprendre. Ils ne peuvent pas supporter de voir un objet «Tintin» sans le posséder. C’est très peu contrôlé et c’est positif pour les éditions Casterman et la Fondation Hergé. Pour eux, on peut même imaginer de rééditer les albums des aventures de Tintin tous les deux ou trois ans en changeant un petit quelque chose sur la couverture et ça se vendra quand même…Restent les tintinolâtres… Pour eux on ne peut pas faire grand chose, la vénération du grand maître relève d’un culte, d’une adoration… Cette édition n’est qu’anecdote, ce qui compte c’est de prouver que Hergé est encore vivant parmi nous, qu’il n’est pas mort, qu’il nous raconte encore des histoires…Mais, les premiers à se réjouir sont, bien évidemment, ceux qui se retrouvent avec en mains l’album de leur jeunesse. L’histoire n’a pas changé – je rassure tout le monde – mais le papier est plus épais, moins lisse, il a son odeur, les couleurs sont plus légères… Rien que pour cela c’est déjà une réussite… Mais pour tous ceux qui ne sont pas de cette génération – je ne vous en veux pas – je vous propose de découvrir ou redécouvrir la narration en images selon Hergé. Ne cherchons pas, ici, à savoir si Hergé était de droite, du centre, catholique ou homosexuel, macho, misogyne ou profondément perturbé dans sa tête… C’est un auteur qui nous raconte des histoires, laissons-nous prendre par ses récits… Ne boudons pas notre plaisir !
Tout commence à Moulinsart, le château du capitaine Haddock, où vivent nos trois amis, le capitaine, Tintin et Tournesol, quatre, même, si nous intégrons Milou. Le professeur Tournesol n’y a pas qu’une chambre, il y a aussi un laboratoire au cœur de cette histoire. L’affaire Tournesol est en effet une histoire d’espionnage scientifique. Le professeur est l’un des plus grands physiciens de son temps, n’est-il pas celui qui a conçu et réalisé la fameuse, que dis-je, l’illustre fusée lunaire rouge et blanche ? Mais que nous invente-t-il maintenant ? Pourquoi est-il si difficile de garder son verre en main sans voir le verre se pulvériser soudainement ? Nous voilà partis dans l’enquête… heureusement que les cigarettes de la marque Macédonia vont nous permettre de rester dans le droit chemin, enfin, c’est que doivent penser Haddock et Tintin. Quant aux Syldaves et Bordures, ce sont bien des Slaves, c’est à dire de braves gens toujours imprévisibles, parfois violents et dangereux.Hergé va s’amuser à convoquer la Castafiore que l’on va retrouver dans une de ses tournées comme cela avait été le cas dans « Le Sceptre d’Ottokar »… Et elle sauve encore Tintin, quelle constance pour cette artiste !Mais maintenant, vous allez lire cet album et faire attention au mouvement, à la dynamique du récit en images… Pages 1, la course effrénée de Nestor qui va répondre au téléphone ; page 2 le retournement du parapluie à cause du vent ; page 5, l’entrée fracassante de Séraphin Lampion ; page 15, le coup de poing reçu par le capitaine dans le laboratoire de Tournesol ; page 19, les malheurs de Haddock dans le hall de l’hôtel Cornavin… Et ainsi de suite… Dans cet album, le talent de Hergé arrive à maturité, il frôle la perfection du récit, il donne une leçon à tous ceux qui vont le suivre dans ce genre littéraire. Oui, je dis bien littéraire, il n’y a pas d’autres adjectifs possibles pour un tel album…Benoît Peeters, expert en tintinologie, trouve que c’est le meilleur des albums de la série des aventures de Tintin… personnellement, je préfère « Les bijoux de la Castafiore », mais je vous en reparlerai bientôt… Je voudrais que vous lisiez cette aventure avec des yeux nouveaux, oubliez un instant le scénario et observez de tout votre regard, de toute votre attention cette bande dessinée… Bref, devenez de véritables lecteurs de bédés et comprenez pourquoi Hergé est et restera un des grands de ce mode narratif…
(par shelton)
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Re: Les Chroniques des albums de Tintin
OH!!! La belle bleeuuuuueeeee !!!!
marzin_63- Op Modérateur
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Re: Les Chroniques des albums de Tintin
mdrrrrrrrr
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Re: Les Chroniques des albums de Tintin
Frog a écrit:
Huhuhuhuhu...
alors la partner ... respect !
Jess-Inthebox- Posteur de Compétition
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« Les Bijoux de la Castafiore »
« Les Bijoux de la Castafiore »
Sur la couverture, Tintin nous invite à le suivre en silence… Pourquoi ? Parce que la Castafiore chante devant les caméras de la télévision ? Parce que notre présence pourrait énerver le chat et Milou gentiment couchés sous le piano de maître Wagner ? Parce que nous sommes sur le point de pénétrer dans l’album le plus important, le plus abouti, le plus réussi de Hergé ? Voyons tout cela de près…
C’est toujours facile de commencer un texte sur les Bijoux par ce que disait l’auteur Hergé : «En commençant cet album, mon ambition était de simplifier encore, de m’essayer à raconter, cette fois, une histoire où il ne se passerait rien.»
Mais cela présente l’inconvénient d’entendre des oiseaux de mauvaise augure/foi dire que puisqu’il n’y a rien dans cet album, on va s’en économiser la lecture ! Et, alors, c’est le drame ! Car ne pas lire un des meilleurs albums d’Hergé, c’est se priver d’un bonheur incroyable, c’est vivre à l’ombre quand le soleil est là à deux pas… Mais je vais essayer de vous expliquer tout cela avec simplicité, modération, efficacité car je voudrais bien que tous ceux qui ne l’on pas encore lu puissent le faire rapidement.
Il y a quelques années, j’ai fait étudier cet album à des classes de sixième. Pour cela j’ai commencé par tenter de convaincre des enseignants de français que l’on pouvait étudier, analyser, travailler sur un épisode des aventures de Tintin. J’avais proposé Les bijoux car c’est celui que j’aimais, je connaissais le plus. Une des enseignantes, une des plus réticentes à la lecture de la bande dessinée, fut la première à venir me voir pour m’avouer qu’elle avait été surprise de tout ce qu’elle avait trouvé, la force du récit, le poids des personnages, la qualité des textes, la maîtrise de l’intrigue… Bref, la plus récalcitrante se retrouvait la plus séduite par "Les bijoux de la Castafiore" ! Et c’est ce qui vous menace dès que vous ouvrirez ce livre…
Lorsque Hergé parlait de la simplification de son récit, il voulait dire que, pour une fois, Tintin ne ferait pas ses valises et resterait au château de Moulinsart, la fameuse propriété du capitaine Haddock. Mais, pourtant, les valises seront bien présentes, tout au long de l’histoire, puisque Haddock va tenter de faire faire les siennes pour éviter la Castafiore qui s’invite chez lui, puis Nestor devra porter celles de la diva et de sa suite, sans oublier le départ du rossignol milanais, les bagages de Tournesol quand il partira la rejoindre… car si Tintin ne bouge pas du château, il en passe du monde dans cet album où tout un chacun semble pris de bougeotte… D’ailleurs, puisque nous sommes dans les bagages et les voyages, voici qu’Hergé met en scène des gens du voyage. Mieux ! Il fait comprendre au capitaine Haddock la difficulté de vivre ainsi dans une société qui ne laisse aucune place à la différence : « Eh bien ! Mille sabords ! Vous allez vous installer autre part, c’est moi qui vous le dis ! … Il y a une belle pâture près du château, au bord d’une petite rivière : vous pouvez y venir quand vous voulez…»
Le capitaine Haddock se met, ainsi, à dos, son valet Nestor [«Inviter des Romanichels chez soi !!…»], les Dupond(t) [«Comment, c’est vrai ?… Vous ne pouviez pas le dire plus tôt ?… Les voilà, les coupables !… Des preuves, Nous les trouverons !… Ces gens sont tous des voleurs !…»], mais, heureusement, Tintin garde la tête froide [«Vous avez bien fait de les inviter…Mais ce n’est pas parce que ce sont des Bohémiens que vous avez le droit de les soupçonner. »]. D’ailleurs, soupçonner de quoi ? Oui, j’ai oublié de vous dire que cet album fonctionne autour des fameux bijoux de la Castafiore, on s’en doute un peu avec le titre, mais c’est mieux en le disant… La chanteuse d’opéra est arrivée au château de Moulinsart avec sa caissette de bijoux dont la fameuse émeraude offerte par le Maharadjah de Gopal… Mais comme Bianca Castafiore est un peu excessive, bien désordonnée et sans mémoire, elle passe son temps à chercher ses bijoux, quand elle ne chante pas l’air des bijoux, ce qui est plus normal pour une diva de sa classe…
Quand une personne, mondialement connue comme la Castafiore, vient s’installer, temporairement, dans un petit village de Belgique, les journalistes rappliquent à grande vitesse. Hergé en profite pour nous raconter une histoire de paparazzi. Les journalistes n’ont jamais eu le beau rôle dans les aventures de Tintin, puisque le seul bon, l’inégalable, le grand, c’est le reporter Tintin, lui-même. Les deux professionnels de Paris-Flash, Jean-Loup de la Batellerie et Walter Rizotto, sont tout simplement nuls et ridicules. Ils vont transmettre de fausses nouvelles, sans aucune précaution éthique, après avoir croisé Tournesol qui ne comprend rien aux questions, surdité expliquant tout… Quant aux deux lascars du Tempo di Roma, ils n’arriveront à voler les photographies qu’en profitant de la pagaille installée par l’équipe de la télévision (encore les médias à l’œuvre !). Mais il faut dire que ces journalistes italiens avaient osé dire que la Castafiore pesait plus de cent kilos… Crime de lèse-majesté : ils ne sont que goujats, malotrus, rustres, mufles…
Mais, tout cela étant dit, que reste-t-il de l’histoire ? Il ne reste qu’une tranche de vie au château, un lieu paisible où un événement est venu perturber le quotidien de Haddock, Tintin, Tournesol… Mais quel est cet événement ? L’arrivée, des Bohémiens, le passage de la Castafiore et sa suite, Irma et Wagner ? Le vol hypothétique des bijoux ? L’intrusion intempestive des Dupont(d) ?
En fait, la vie quotidienne de bourgeois propriétaire que mène le capitaine Haddock est perturbée par un événement majeur [du moins sous l’angle du confort réel], à savoir, la destruction partielle d’une marche de l’escalier… Un bout de marbre se brise et la tranquillité disparaît… « J’y ai introduit le détail vécu du marbrier Boullu qui doit venir réparer la marche d’escalier », mais qui met trop de temps à venir. Cette passivité, fainéantise, négligence professionnelle, aura de très lourdes conséquences. Presque tous les personnages vont choir dans la descente marbrée : Tournesol (page 5), Nestor (pages 6, 11, 12), Haddock (page 7, avec entorse à la cheville gauche qu’il faudra plâtrer, puis page 62 alors que tout semble rentrer dans l’ordre), Irma (page 35), Wagner (page 43), Tintin (même lui n’y échappe pas, page 44)… Mais, les esprits observateurs pourraient faire deux remarques. La première, assez technique, est que l’on ne voit jamais, à deux exceptions près, les chutes elles-mêmes. On ne voit que celle de Nestor où il arrive, avec des efforts étonnants, à retrouver son équilibre in extremis… pour mieux choir la page suivante… et la dernière du capitaine Haddock qui marche sur la marche qui vient juste d’être réparée… « C’est malheureux !… Moi qui revenait justement vous dire d’attendre un jour ou deux avant de poser le pied sur cette marche… ». Décidément, ce marbrier arrive toujours en retard…
Cet épisode de la marche joue un double rôle. Il permet de confirmer que tout va de travers. Dès que le marbre est brisé, tout le monde marche sur la tête… Mais, c’est aussi un très bel exemple de comique de répétition, méthode qui a fait ses preuves depuis très longtemps (« Que diable allait-il faire sur cette galère ! »).
L’angle technique que j’évoquais plus haut est aussi remarquable. En effet, en ne voulant pas montrer toutes les chutes, Hergé fait appel à l’ellipse, et il est maître dans cet aspect de la narration graphique… Irma descend en courrant l’escalier. La case suivante, Haddock, dans son salon, entend un Boum caractéristique et s’exclame : « C’est ça !… Toujours la marche ! ». Puis, troisième vignette et dernière de cette séquence, Irma se frotte les fesses (en tout bien tout honneur, nous sommes dans les aventures de Tintin) et semble se remettre difficilement.
La seule qui ne tombe pas est, assez paradoxalement, Bianca Castafiore. Pourquoi ? Je ne suis pas certain de vous proposer la meilleure solution… Cet album raconte, même si c’est construit sur un quiproquo et une mauvaise interprétation de journalistes, une annonce de mariage, un amour fantasmagorique entre la Castafiore et Haddock… Or, ce dernier ne supporte pas Bianca [ « La Castafiore ici !!! Cataclysme ! Catastrophe ! Calamité ! »], et, pourtant, c’est lui qui va l’empêcher de s’écrouler : « Attention ! La marche ! »… Oui, malgré tout ce qu’il pense, c’est lui le vieux marin solitaire, haïssant l’opéra, ne supportant pas la diva, qui sauve celle que l’on donne comme sa fiancée…
C’est aussi le moment de jeter un œil plus perspicace sur cette Bianca Castafiore. C’est un personnage spécial dans l’œuvre de Hergé car elle un peu seule pour représenter le monde féminin. Elle est une sorte de vierge éternelle qui n’a aucun avenir conjugal ni sexuel. Pas de liaison, pas de prétendant, pas de vie familiale, et cette histoire de mariage avec Haddock fera long feu… C’était une rumeur de journaliste ! Les femmes et Hergé ? Voilà un mystère qui nécessiterait de longues études et qui dépasse largement le cadre de cet album. En effet, on peut toujours dire que les aventures de Tintin entrant dans le cadre de la loi de 1949 sur les lectures de jeunesse ne permettaient de mettre en scène des histoires de sexe, d’amour, d’adultes… Mais, je le reconnais, c’est « botter en touche » avec un sujet important… Alors, nous reviendrons sur ce thème de Hergé et les femmes dans une prochaine chronique.
Dans la pseudo relation entre Haddock et Castafiore, il est aussi important de remarquer les noms dont la chanteuse d’opéra décore le pauvre marin : Bartock, Kappock, Koddack, Mastock, Kosack, Hammock, Kolback… Pourquoi une telle pitrerie ? Pour montrer que pour la Castafiore, un homme n’est qu’une denrée secondaire, la preuve elle n’arrive pas à retenir son nom ? Ou, peut-être plus crédible, pour accentuer les origines inconnues du capitaine ? N’oublions pas que dans Le secret de la Licorne et Le trésor de Rackham le rouge, nous apprenons que Haddock est un descendant d’un bâtard du roi soleil… Et cela nous met en évidence la question de l’identité chez Hergé, lui-même fruit d’un secret de famille… Oui, parfois, la bande dessinée peut être plus grave que ce que l’on croit : une aventure ouvre sur l’autobiographie, sur le fort intérieur de l’auteur…
Question langage, les Dupond(t) se déchaînent aussi avec lapsus, contrepèteries incomplètes, erreurs de vocabulaire… Je dirais même plus calembours à trois sous… Ils sont en très grande forme, au sommet de leur bêtise, et l’affaire de la disparition des bijoux va permettre une mise en couleurs de cette stupidité incarnée, doublement incarnée ! Quand ils arrivent, ils pulvérisent leurs deux chevaux sur le camion de la télévision, ils suspectent tout le monde, de Tintin à la pauvre Irma, mangent des coussins envoyés par la Castafiore, se prennent les pieds dans les fils, ont des idées préconçues sur les gens du voyage [comme tous les policiers du monde, diront certains…], se font agresser, verbalement seulement, par la Castafiore, embrassent des arbres pour éviter des branches qui tombent, égarent une émeraude dans de la belle herbe verte… Bref, les anciens agents X33 et X33 bis (cf. Les cigares du Pharaon, première version) sont toujours aussi bêtes et il ne faut pas compter sur eux pour retrouver les bijoux disparus…
Cet album est une galerie de portraits où l’on retrouve aussi le fameux Séraphin Lampion, l’assureur volubile ami de cette « vielle branche de Haddock », qui vient « serrer la pince à ce vieux pirate », qui félicite « le vieux flibustier » dès l’annonce des fiançailles avec Bianca Castafiore… et qui trouve, enfin, une personne pour lui claquer la porte au nez et le faire taire… Merci la Castafiore, personne n’avait réussi avant toi ! Cet album est bien le tien…
Je suis certain d’avoir lu, ici, le meilleur album de Hergé, celui qui m’accompagne depuis 1963, date de sa parution, car, le relisant tous les ans, au moins une fois, je peux affirmer qu’il est un compagnon parfait des bons et mauvais jours… Ce serait, probablement, l’album de bédé que je prendrais avec moi pour partir sur une île déserte, mais je ne suis pas pressé car j’aime bien ma bibliothèque avec ses milliers d’albums qui me font rêver entre mes lectures des Bijoux…
(par shelton)
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